L'ombre de Ion Iliescu sur le pouvoir roumain

LE MONDE

Ion Iliescu , le président sortant de la Roumanie, vient de découvrir la distance entre le ręve et la réalité. Son ręve commence en 1989, lorsque l'ancien apparatchik fait tomber, et fusiller, le dictateur Nicolae Ceausescu. Il souhaitait etre pour son pays un Lech Walesa ou un Vaclav Havel. Pourtant, en juin 1990, il appelait les mineurs a descendre a Bucarest pour étouffer les manifestations anticommunistes. La capitale roumaine connaîtra alors un énorme déferlement de violence. En septembre 1991, le męme Ion Iliescu appelait ces męmes mineurs a renverser le gouvernement de Petre Roman, jugé trop réformiste, mettant ainsi un frein a l'évolution de son pays.

Néanmoins, il a toujours recherché la reconnaissance internationale et voulu donner l'image d'un leader fréquentable. Il revient au pouvoir en 2000, après avoir cédé la place, en 1996, a une coalition de centre droit. En 1999, lorsqu'il était dans l'opposition, il encourage a nouveau les mineurs a prendre d'assaut la capitale roumaine. Mais, grâce a la mobilisation de la police, de la gendarmerie et de l'armée, un autre bain de sang est évité a Bucarest. Miron Cozma, le leader des mineurs, est jugé et condamné a dix-huit ans de prison.

En 2000, M. Iliescu appuie le leader extrémiste Corneliu Vadim Tudor, qui accède au second tour de la présidentielle. C'est ainsi que l'ancien apparatchik a non seulement assuré sa victoire mais s'est fait passer pour le sauveur de la démocratie en Roumanie. Depuis quatre ans, le président formé dans les écoles bolcheviques s'efforce de donner l'image d'un homme ouvert a la démocratie. Lors de son dernier mandat, la Roumanie a intégré l'OTAN et négocié son adhésion a l'Union européenne (UE).

Pourtant, quelques jours avant de céder la place au nouveau président élu le 12 décembre, Traian Basescu, Ion Iliescu a montré son vrai visage. Le 16 décembre 2004, a la veille du conseil européen de Bruxelles qui devait confirmer l'adhésion de la Roumanie a l'UE en 2007, il a gracié Miron Cozma. En męme temps, il a offert l'Etoile de la Roumanie, la plus haute distinction du pays, a Corneliu Vadim Tudor. Aussitôt, les médias roumains se sont déchaînés contre ces décisions qui remettent en cause la stabilité de la Roumanie. Accusé de ressusciter les fantômes du passé, Ion Iliescu a tenté de sauver la face et annulé la grâce de Miron Cozma, au mépris de la loi. En effet, selon la Constitution, seul le Parlement peut annuler une grâce présidentielle. La police roumaine a dű courir une fois de plus aprčs le leader des mineurs pour le remettre en prison.

Le 18 décembre, au retour du conseil européen de Bruxelles, M. Iliescu est rentré a Bucarest pour annoncer a ses compatriotes l'engagement de l'UE d'intégrer la Roumanie en 2007. Il s'attendait a un accueil enthousiaste des journalistes. Erreur ! Il fut mitraillé de questions concernant Miron Cozma et Vadim Tudor. Visiblement embarrassé par l'agressivité de la presse, le président sortant n'a pu que balbutier un discours sur les valeurs de la démocratie roumaine. Son dauphin, le premier ministre Adrian Nastase, a vainement essayé de calmer la colčre des journalistes.


PARTI EXTRÉMISTE


La mission du nouveau président roumain et leader de l'opposition, Traian Basescu, s'annonce difficile. Lui aussi présent a Bruxelles, il a refusé de prendre l'avion présidentiel et a préféré rentrer a Bucarest par un vol régulier. M. Basescu refuse de se montrer a côté de l'ancien apparatchik.

"Ion Iliescu est l'homme qui est entré dans l'histoire main dans la main avec Miron Cozma et sort de l'histoire main dans la main avec Miron Cozma", a affirmé M. Basescu. Mais Ion Iliescu n'est pas vraiment pręt a céder le pouvoir. Il a pressé le nouveau président de nommer un premier ministre issu de son Parti social-démocrate, qui a le soutien du parti extrémiste de la Grande Roumanie.

Les élections législatives du 28 novembre 2004 ont doté la Roumanie d'une scčne politique très fragile. Ni l'opposition de centre droit, dirigée par Traian Basescu ni le Parti social-démocrate créé par Ion Iliescu ne disposent de la majorité nécessaire pour former le gouvernement.

L'arbitre de l'échiquier politique roumain est actuellement le parti extrémiste de la Grande Roumanie qui, fort de 14 % des suffrages, soutient le parti de M. Iliescu. Ce choix de Corneliu Vadim Tudor, l'homologue de Jean-Marie Le Pen en Roumanie, s'explique. Ce personnage et sa formation politique ont été créés par Ion Iliescu au début des années 1990. Si Miron Cozma était le bras armé du président contre l'opposition anticommuniste, Vadim Tudor avait la mission de détruire l'image de celle-ci. Les services secrets, héritiers de la Securitate, la police politique du régime communiste, ont livré a Vadim Tudor les dossiers des leaders de l'opposition.

La mission de l'extrémiste roumain était de publier dans sa revue de la Grande Roumanie des histoires compromettantes sur la vie privée des opposants surveillés par la Securitate. Aujourd'hui, Vadim Tudor continue a soutenir Ion Iliescu dans ses man¦uvres contre Traian Basescu.

Le nouveau président promet aux Roumains "un pays débarrassé de la corruption et digne d'entrer dans l'Union européenne". Selon M. Basescu, sa victoire est "l'accomplissement de la révolution commencée en 1989 et confisquée par une poignée d'opportunistes". Le message inquičte Ion Iliescu, qui risque de devoir répondre devant la justice des dérapages des événements de décembre 1989, qui se sont soldés par un millier de morts.

Mais, pour l'instant, Traian Basescu a seulement gagné une bataille. Pour former un gouvernement démocratique, il se voit obligé de convoquer des élections anticipées. Habitué aux longs voyages, cet ancien capitaine de vaisseau n'hésitera pas a inviter les Roumains a une derničre course électorale avant l'intégration européenne.

Mirel Bran

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.01.05


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