Selon les récits
recueillis par Dionisie Boboc auprès des survivants roumains de Sibérie, il
ressort des faits terrifiants:
«Le crime le plus abject que les
Russes ont commis en Bessarabie fut
le génocide en masse organisé en 1946-1948. Il faut ajouter encore
la sécheresse dévastatrice de ces
deux années. Les
champs furent ravagés, brûlés et la récolte
obtenue, infime. Et encore les
paysans ne purent garder ce
minimum pour subsister. Vers l'automne de 1946, les autorités organisèrent une
«Quête» de toutes les réserves
épargnées avec effort par la population autochtone. On organisa des équipes de transport avec la
participation de la milice.
Selon les autorités c'était une soi-disant quête en vue
d'une distribution rationnelle. Mais les réserves collectées ont été distribuées à
l'armée rouge, à la Sécurité, à
la milice, aux métèques et à tous les étrangers de ce territoire, les Roumains étant exclus. C'est ainsi que 20%
de la population d'origine roumaine
sont morts de faim. La sécheresse de l'année 1946—1947 fut
suivie par un hiver rigoureux. La
population des villages fut fauchée au printemps lorsque les organismes devinrent dystrophiques. On ramassait les cadavres et on les jetait dans
des fosses communes,
afin d'éviter les épidémies. Certains sont morts après avoir goûté le premier
morceau de pain de la récolte de
l'année. Rarement ont vécu les gens des tragédies si horribles. Durant l'été de 1948, lorsque les tombes de ceux assassinés traîtreusement étaient encore fraîches, les organes
du KGB, dirigés par les autorités centrales de Moscou,
ont mis en application un autre plan infâme de
liquidation de la population roumaine de Bessarabie: la déportation dans les endroits les plus éloignés de la Sibérie.
Dans l'une «des
nuits de la Saint—Barthélémy» de l'été 1948 on donna le signal. Toutes les localités furent simultanément cernées par l'armée,
la milice et la Sécurité mobilisées à
cet effet avec tous les moyens blindés et motorisés, en majorité de provenance
américaine, du temps de la guerre.
Chaque citoyen ne pouvait emporter avec soi qu'un baluchon de quelques kilos. Le reste des biens de toute nature étaient abandonnés
sur place.
Dans le vacarme infernal
des bruits de moteurs, des grincements de
chenilles,,des cris, des pleurs, des jurons et des commandes barbares, un grand nombre d'enfants, poussés par la peur et l'instinct de conservation se sont
échappés dans les champs ou dans les
bois avoisinants, se sauvant d'une
mort certaine. L'armée de ces enfants, filles et garçons, arrachés à leurs parents de manière barbare, tout
comme au temps des invasions des
tartares, errèrent longtemps parmi les
fourrés et restèrent une génération d'enfants traumatisés pour la vie, psychiquement
et physiquement.
Entassés dans des
camions militaires, les déportés furent transportés à la hâte vers les plus
proches stations de chemin de fer
où les attendaient les convois de wagons à bestiaux; c'est là qu'ils y ont été tassés pêle-mêle, sans aucune possibilité de satisfaire
leurs besoins physiques ou d'hygiène élémentaire. Les convois prirent le chemin de la Sibérie.
Comme nourriture,
ils mangèrent ce qu'ils purent prendre comme provisions à la hâte et quand les réserves furent terminées, ils souffrirent de
faim».
Un autre récit
émouvant est celui fait par Ion Dumitru dans son ouvrage «Formes d'ethnocide en URSS», à la page no. 21:
«La Gazette
«România» nous relate dans l'un de ses numéros :
En 1949 ont été arrêtées 25.000 personnes dans les 477
villes de Bolgrad
(Cetatea Alba), Ismail et Chisinau. L'opération fut effectuée pendant la nuit et ou leur accorda une demi-heure pour préparer leur
départ; on leur interdit de prendre des vêtements avec eux. On leur confisqua tout ce qu'ils possédaient. Les
déportations eurent bien lieu dans la nuit du 5 juillet 1949 (un mardi), avec
le départ de la gare Ismail, les convois comptant une soixantaine de wagons. Ils furent envoyés
certains en Sibérie, d'autres à Tomoski, en Kazachstan. Le voyage dura vingt-deux jours. Au commencement ils furent abandonnés à la
belle étoile, ensuite ils
furent entassés dans des baraquements en bois. Pour le travail effectué, la rémunération suffisait à peine pour s'acheter un
morceau de pain. Nombreux ont été ceux qui se sont pendus par désespoir . . .Ne pouvant plus vivre tassés dans les
baraquements, de nombreux gens ont creusé des taudis dans la terre ... La police a forcé les déportés à signer des déclarations dans
lesquelles ils disaient qu'ils étaient arrivés de leur bon gré et qu'ils n'avaient pas été arrêtés pendant la
nuit. Le nombre des Roumains
exterminés en Bucovine et Bessarabie dépasse le demi-million».
A partir du mois d'avril 1949 quelque
chose changea. Des personnes que je ne connaissais pas venaient a Purani prendre des réalignements sur ma
personne. J'étais connu sous le nom de Traian Ioanitoiu, mais ils cherchaient un Cicérone . Ils
commencèrent par me
demander des détails autobiographiques et
des renseignements concernant
mon activité menée à la faculté, etc .
. . J' essayai d'éluder habilement
les questions plus
précises. Je me rendais
très bien compte que
c'était moi qu ils recherchaient. Mais le chef du poste
trouva que cet intérêt subit de la
Sécurité pour ma personne n'était pas de bon augure et qu'il fallait que je me méfie, même si l'on avait
transmis de bonnes références
sur moi. Depuis ce jour il chercha a m'éviter, quoique son fils fut mon élève.
Entre temps la police s'était
renseignée auprès de ma mère à Craiova lui demandant où je me trouvais. Je n'étais passé à la maison en quatre ans, que deux fois
et de nuit. Ma mère, comme
toutes les mères, dit qu elle ne savait plus rien de moi. Un jour, un de ces messieurs lui dit que j'étais professeur et que
j'enseignais quelque part, près de Videle. Bien entendu ma mère me communiqua cette nouvelle. Paul Mironesco, devenu agent de la
Sécurité et par la suite
procureur, fut aussi l'un de ceux qui transmirent des renseignements me concernant. Chacun de nos pas et gestes était épié.
Nous devions
apprendre bientôt qu'au cours de la nuit du 15 août 1949 il y eut 5 000 arrestation, moi compris.
Nous étions tous
des enseignants, convoqués à Giurgiu, chef-lieu du département. Arrivé à la Sécurité je leur dis que c'était moi qu'ils
recherchaient depuis 6 mois, que la personne qui avait dormi avec moi dans le dortoir commun de 30 gars ne me connaissait
pas et qu'elle n'avait rien à voir
dans l'histoire. Le lendemain on le relâcha. Pendant que j'étais là, je vis un jour un homme
portant une longue barbe dont on
disait qu'il s'était caché depuis trois ans après les élections de 1946 et qu'il avait empêché la falsification dans sa section.
Une semaine plus tard je suis parti
accompagné d'un adjudant de la Sécurité pour Bucarest par le train. Il me demanda de ne pas lui
créer des ennuis; il me
laissait les mains libres alors qu'il avait l'ordre de me mettre des chaînes. Il avait honte,
disait-il, parce qu'il avait
vu que j'étais une personne instruite. Je réussis à trouver dans le train une personne qui me promit de faire le nécessaire pour
avertir à l'adresse que je lui donnai que je venais d'être arrêté. Je ne cherchais pas à m'évader; cela n'aurait servi à
rien car en Yougoslavie on refoulait
les réfugiés. D'un autre côté, je savais qu'il n'y avait pas de preuves contre moi. Il fallait que je garde mon calme.
Arrivé à Bucarest,
nous fîmes à pied la distance qui nous séparait du Ministère de l'Intérieur et l'adjudant me permit de m'acheter ce que je
voulais. J'ai revus Brânzaru qui après avoir signé le mandat, me regarda longuement, moi et mes
papiers, et me dit:
— J'ai
l'impression de vous avoir déjà vu! Seulement les temps ont changé et on t'apprendra à vivre,
bandit! Et il jura. On me mit des lunettes sans verres et on me descendit au sous-sol. Le soir même
je fus conduit à l'interrogatoire. Sur le
bureau de l'enquêteur, un
volumineux
dossier, que le capitaine Nae Dumitresco, vieille
connaissance, feuilletait.
_ Comment ça va,
Cici, tu es de nouveau chez nous.'1 Cela ne te plaisait donc pas où
tu étais?
— La vie à
la campagne me plaisait, j'y suis habitue.
— Laissons cela, raconte moi plutôt
comment tu es venu! Et il feuilletait les pages.
— Comment je suis venu? J'ai été amené
par un adjudant de la
Sécurité qui est venu me chercher à Giurgiu.
— Oui, mais jusqu'à Giurgiu? Écoute, il
y a longtemps qu'on se connaît,
c'est pas la peine de perdre notre temps, du reste moi j'en ai, mais ici les conditions sont
plus dures, pourquoi ne pas
aller ailleurs où il y a plus d'espace pour bouger, plus d'air, une meilleure nourriture . . .
— Justement, comme je vous connais et
que vous me connaissez, dites
moi ce que vous voulez savoir?
— Quoi, moi? Raconte plutôt où tu as
été, quels sont les gens que tu
as vus et quels sont les instructions que tu as reçues.
Je me rendis compte qu'il s'agissait d'une confusion, mais je voulais savoir d'avantage. De plus il était
illettré. Il continuait
d'ouvrir et fermer le dossier et à un moment donné je vis le nom que portait la couverture:
Mircea Ioanitiu. Je lui dis:
— Vous ne vous êtes même pas aperçu que ce n'est pas mon dossier que vous avez entre les mains. C'est
celui du secrétaire privé
du roi Michel. Surpris d'avoir confondu les dossiers il me renvoya à ma cellule, me disant de réfléchir. Je ne l'ai jamais revu.
Au bout d'une
semaine je subis un nouvel interrogatoire. Un capitaine qui paraissait être un ouvrier d'après son aspect et son langage me dit que
je n'avais pas intérêt a tourner
autour du pot avec lui. Si je suis franc je faciliterai les choses car il
serait dommage d'aller en prison.
— Très bien, répondis—je, que voulez vous de moi? Comme je ne sais pas pourquoi
j'ai été condamné trois fois, cette fois-ci ce sera la même chose.
— Qui as tu vu à ta sortie de prison?
Et de quoi as tu parlé?
— Je n'ai vu personne. J'ai travaillé, en province.
— C'est faux, puisque j'ai ici sous
les yeux des déclarations
faites par une personne que tu as rencontrée.
— Quand vous tombez par hasard sur une
personne qui est sortie faire ses
courses, cela ne s'appelle pas une rencontre.
Je savais à quoi il faisait allusion. En effet, j'avais rencontré une fois Ion Barbus tout à
fait par hasard près de la gare; il
était avec son père. On s'était serré la main; il me présenta à son père et nous nous quittâmes.
— Tu vois que nous sommes au courant de tout et que
par conséquent tu
ne peux pas
nous raconter des boniments!. . .Où est Barbus
maintenant?
— Je viens d'arriver de Giurgiu, où
j'ai été pendant une année, et
c'est moi qui dois savoir où il se trouve?
Il consigna ma rencontre avec Barbus et ce fut l'unique procès-verbal qu'il me dressa et qui
se trouvait dans mon dossier. Il me
renvoya dans ma cellule, me disant aussi de bien réfléchir. . . . Un autre que je ne devais plus revoir.
Quelques jours plus tard on m'emmena chez le photographe, on me mis une plaque avec un numéro sur
la poitrine et on me
photographia en quatre positions différentes. En écrivant mon nom et adresse,
l'officier qui prenait note
sursauta en entendant rue Aviateur Sanatescu, 16.
— Chez qui avez vous habité et depuis
quand?
— J'ai habité chez Ciudin, qui était
mon propriétaire!
Ils furent assez
mécontents de mes réponses.
Ce n'est qu'une
année après que j'appris l'histoire de la maison où j'avais habité. Je me trouvais à Jilava. Après la stabilisation monétaire d'août
1947, en plein jour, à 1a Gare du Nord
la trésorerie a été attaquée, le trésorier immobilisé et 17.000.000 lei stabilisés saisis par
une équipe de quatre jeunes dont, Ionutz Stoica. Une partie de l'argent servit à aider l'organisation de la
résistance dans les montagnes; le
reste fut placé dans l'achat d'immeubles. Un de ces immeubles était justement celui où
j'avais habité.
A cette époque à
la prison du Ministère de 1 Intérieur se trouvaient:
Cernovodeanu Dan,
expulsé de Yougoslavie; Constantinesco Badea, colonel, originaire de Craiova, également expulsé de
Yougoslavie; Dumitresco Sava, chef de brigade de l'ancienne Sécurité, qui s'était penché sur le
problème communiste. Il
connaissait tous les prétendus résistants dont plus de la moitié avaient été ses agents:
Hotineanu, colonel magistrat celui qui s'était occupé de la grève de Grivitza en 1933; Popescc—Cetate,
colonel magistrat, qui était l'ancien
accusateur d'Ana Pauker au procès de Craiova; Seracin Ghedeon, général d'Arad, expulsé de Yougoslavie; Monseigneur
Francise Rafaël, de Constantza; Monseigneur Schubert, de l'église St. Joseph, lui aussi arrêté; Iosif Conta, de Deva; le professeur
universitaire Alexandre Herlea de Brasov, arrêté dans la capitale devant le cinéma Scala; Monseigneur Ghica.
Le 2 septembre on m'emmena Calea Rahovei où était le siège de la Sécurité. Je
partageai la cellule de Rambela Dragos, ancien officier, le fils du général Rambela. Dragos était un esprit aventurier. Il avait
parcouru après 1945 l'Ouest de
l'Europe, s'occupant du commerce des cigarettes américaines; toujours poussé par le démon des
affaires, il était rentré
clandestinement en Roumanie. Dépisté et arrêté, il prit la route du Canal de la Mort. On disait de lui qu'il avait eu le courage de
s'opposer à un criminel de droit commun, Stanciugel. Ce Tzigane odieux, après l'avoir cruellement frappé pour se
venger, le tua et le jeta dans le four à chaux de Poarta Alba. Stanciugel est celui qui frappa aussi Remus Radina. Comme
en URSS, c'étaient les criminels qui torturaient les détenus politiques.
Une grande
nervosité régnait à Calea Rahovei. Les interrogatoires se succédaient jour et nuit. Un jour, me rendant au mien,
je rencontrai dans l'escalier Victor Coconetzi qui porta discrètement son doigt à la bouche.
C'était le sous—lieutenant
Done, trop âgé pour son grade qui s'occupait de mon cas. Je n'avais vraiment rien à lui dire. Exaspéré il se précipita sur moi me
jetant par terre, me piétinant de ses bottes. Mes lunettes sautèrent. Un sous—officier de Sécurité, (juif) a réussi à
les sauver et me les rendit après. Je fus emmené au sous—sol; mon sang coulait le long des tempes , l'arcade sourcilière déchirée ,
mais je ne sentais rien.
Deux jours après, nouvel
interrogatoire. Je reçus des coups dans le dos et sur la plante des pieds. Je rentrai dans ma cellule le corps tout
endolori. Mes pieds étaient tellement gonflés que je n'arrivais plus à me chausser. Pendant deux jours
je mis des compresses à l'eau froide. Là on me transmit des nouvelles de deux
camarades de faculté qui
avaient été arrêtés et maltraités. Il s'agissait de Lilica Alexandrescu, licenciée en philologie;
après une rencontre avec Alexandre
Dragulanesco, celui-ci l'avait inscrite sur la liste de la Sécurité et maintenant on la torturait. L'autre camarade était Nina
Dombrowski, licenciée en histoire
qu'on avait arrêtée pour avoir voulu, avec un groupe de jeunes faire sauter la statue du soldat
soviétique, Place de la
Victoire. Elle fut ,elle aussi, maltraitée. A propos de cette statue du soldat soviétique, j'ai
rencontré dans les prisons
plusieurs groupes qui avaient eu le même désir de détruire ce soldat. C'était la réaction de notre jeunesse vis-à-vis de nos libérateurs
qui voulaient nous rayer de la carte en tant que nation.
Le 11 septembre
le sous-sol de Rahova fut vidé et nous retournâmes à nos anciennes cellules de Jilava. Les nouveaux venus
portaient des marques, leurs yeux hagards étaient remplis de crainte; on aurait dit des gens
qui venaient de vivre un
bombardement.
Jilava, le fort
n. 13 construit au temps des Turcs, est devenu un des tombeaux de la nation roumaine. C'est là que furent tués des Roumains avec
ou sans jugement dans les cellules ou dans les
couloirs. La Vallée des Pêchers reste un
témoignage douloureux du martyre de tous ceux qui se sont opposés à la dictature. C'était une construction de forme circulaire aux murs épais de plus
d'un mètre, en briques, recouverts de
terre. Les cellules avaient vers la
cour intérieure un passage à créneaux calculés de manière que l'on pût utiliser les armes à feu depuis
chaque angle. Le passage ne servait
plus que de dépôt à légumes. Au milieu, comme le noyau dans un fruit, se
trouvait le réduit, lui aussi de forme
circulaire. Le réduit avait à gauche en
entrant les chambres 1 à 4 qui étaient petites et 5 et 6, des grandes pièces. A droite, suivant la même
symétrie, les chambres 7 et 8,
grandes et les 9—10—11—12, petites, qui
communiquaient entre elles. Vers l'intérieur il y avait quelques cellules sans lumière et un escalier qui
menait à la tour. Comme toutes les
forteresses elle avait une issue
souterraine qui la mettait en communication avec l'extérieur par un taillis, mais on l'avait bouchée. Après l'instauration de régime de malheur de Petru Groza,
l'idée leur était venue d'utiliser ce
fort comme moyen d'extermination.
Vers le 1er mai
1945 les premiers politiques, ceux qu'on avait arrêtés vers le 20 mars, firent leur apparition dans cette prison. Le
commandant en était entre i»45 et 1949 Berezowski, aujourd'hui fonctionnaire au «PECO» de Bucarest. De son temps les
conditions de détention
étaient assez acceptables; on pouvait recevoir des paquets, les gardiens
étaient pour la plupart des Tziganes. Par la suite, Berezowski fut arrêté et torturé. On le remplaça par Maromet, ancien planton
jusqu'en 1946 à la mairie de
Bucarest auprès du général Dombrowski et du secrétaire général Emile Coconeti. Ce bourreau eut
la satisfaction d'avoir à
sa merci, sous clef, les enfants de ses deux anciens chefs. C'était une véritable brute. Il avait en plus le défaut
de bégayer et comme il provoquait le rire chaque fois qu'il essayait de prononcer quelques
paroles, il s'acharnait sur
les détenus avec les poings, les pieds et tout ce qui lui tombait sous la main. Il régna 4 années
sur les détenus, des squelettes
ambulants. Vers 1954 on le signala à la colonie Salcia, en Dobroudja, où il s'amusait à piétiner les détenus à cheval. Parmi ses
collaborateurs fidèles on peut citer: Ivanica, adjudant, un Tzigane qui aimait cogner et qui participait à l'exécution des
condamnés à mort. Fatu, un autre Tzigane, adjutant, qui ne s'arrêtait de frapper que lorsqu'il voyait le sang jaillir et
qui participait aussi aux exécutions. Barbuica, adjudant, était d'une méchanceté sans pareille, il
frappait sans aucun motif seulement pour le plaisir de voir les gens souffrir. Szabo,
brigadier-chef, était du même acabit, l'adjudant Paduraru ne valait guère mieux.
Quant aux
problèmes sanitaires, c'était un scandale. Le docteur Ionesco, une femme, passait de temps à
autre dans les cellules juste
pour faire acte de présence.
A l'époque ,1a
prison de Jilava était pleine à ras bord. Et pourtant les nouveaux arrivaient sans cesse. On
les entassait par dessus les
autres, dans les couloirs, n'importe où. Des jeunes et des vieux végétaient ensemble d'un jour à l'autre. Lorsque j'arrivai dans la
chambre 8, il y avait déjà plus de 150
personnes dans un rectangle d'environ 12 m de long sur 5 m de large.
J'essaye de me
rappeler tous les hommes qui connurent des misères indescriptibles, cherchant à ménager leurs forces pour survivre:
V. V. Tzoni,
ancien ministre, sous-secrétaire d'Etat à
l'Education Nationale, un homme qui forçait l'administration par son comportement digne,
prêt à tout moment communiquer aux
autres son savoir afin de se rendre utile à son entourage.
Un autre groupe
était forme par les chefs des arrondissements de la capitale dont: Iancu Petresco; Câlin Ion; Georgesco-Tocana; Niculesco; Costica
Mihailesco, place Vasile Lascar;
Dumitru Tàbâcaru ancien inspecteur, homme intègre.
Un certain Dima,
qui portait des béquilles, ancien agent des communistes; il connaissait toutes les machinations et ne se gênait pas de les
crier tout haut.
Je rencontrai
aussi le chef de la jeunesse du PNP d'Arges, Grigore Dumitresco, qui, encore étudiant, eut le malheur de connaître quelques mois
de «rééducation» dans la prison de
Pitesti. En sortant de prison et du pays il décrit dans son livre—témoignage «Demscarea», les moments d'horreur passés à Pitesti.
Le père Vasile
Soroaga, qui nous reçut si souvent chez lui, dans sa petite pension de la rue Mihai Voda, maintenant âgé de plus de 80 ans, se
trouvait là. Il ne milita jamais dans aucun parti politique, mais il était de tout cœur avec ceux qui souffraient.
Un autre groupe
de jeunes appelé par la Sûreté «Emblème de la nation», avait comme chef
l'avocat Corbasca. Parmi eux se trouvait l'étudiant Sica Enachesco, qui deviendra à son tour bourreaux des prisons
et au Canal, Mata-oanu, Falfanesco,
Moraresco, Matasaru (de Polytechnique), Dinu
Georgesco.
Il y avait encore le groupe du
professeur Golimas Aurel et de son
neveu, Sidorciuc, sous-ingénieur à Timisoara. Ils pensaient que la situation
allait changer et que par conséquent il fallait agir dès maintenant contre le
régime. Golimas Aurel avait été
aviateur politique. Il était passé de la droite à la gauche, avec un court passage au centre. D aurait fait la politique de
Tataresco afin d'obtenir une chaire universitaire, ensuite il le quitta. En prison il était informateur, ne détestant pas de
cogner à l'occasion. Il devint
professeur d'histoire à Craiova après sa libération. Il travaille et rend des services à la
Sécurité.
Grupper, un
marchand de céréales de Braila et son ami Grosu.
Ene, colonel du
génie de Bucarest, un homme de caractère; Militaru, lycéen, fils du poète Vasile Militaru, qui avait été aussi arrêté.
L'acteur Dabija Benedict, accusé par Leopoldina Balanutza; Popesco dit Polyglote, un aventurier; Branza Gheorghe; Burcea, un
tailleur socialiste; Plapumaru;
Gheorghe Cristesco, vieux socialiste ex-secrétaire du PCR; l'écrivain Isac Peltz; le journaliste Grigore Malciu et Emile
Malciu, qui après Jilava connurent le
Canal de la Mort où Emile, le cadet, veilla Grigore jusqu'à sa mort; Prunesco, ancien commissaire , géographe passionné, nous
fit profiter de sa mémoire et de son érudition.
D'autres firent
de courts séjour à Jilava: Anton; Botgros; Vladimir Mihail et Blacioti, licenciés en droit, l'avocat Geani, le professeur
Hilard, etc.
Plusieurs prêtres
catholiques et quelques Français impliqués par la Sûreté dans une affaire de soi-disant espionnage. J'ai retenu les noms de:
Lelutiu et Ghiuzan Matei,
prêtres, anciens camarades de faculté.
Un autre groupe
était du département de Muscel: Dumitru Burtea qui avait fréquenté le lycée militaire et la Faculté de
Droit. Il était condamné à 4 ans de prison. Tempérament de poète il n'eut la force de résister.
Il céda facilement pour des
avantages mesquins devenant leur agent attitré.
Staico Gheorghe,
docteur en sciences économiques, des environs de Câmpulung, fut condamné à 15 années de prison; Nicolae Enesco, avocat de Câmpulung,
torturé pendant l'enquête reçut aussi 15 ans de prison. On dit qu'il avait collaboré avec
Arsenesco. Il séjourna à la
prison d' Aiud, et en sortit malade en 1964.
Un groupe de 12
élèves du lycée Mihai Viteazu entre 12 et 16 ans avait été arrêté et jugé dangereux pour le régime. Comment peut-on qualifier
l'attitude d'un régime politique
qui arrachait les enfants à leurs études pour les jeter en prison afin de les exterminer? C'est là qu'on pouvait mesurer la bassesse de
ceux qui se disaient les bienfaiteurs
du peuple. Parmi eux se trouvait aussi Petrica Lepadatesco, qui n'avait pas encore 14 ans, le neveu de ce Mircea Lepadatesco devenu
l'homme du régime. Le seul avantage
et la seule faveur que son oncle lui fit, fut de ne pas être battu. Il arriva à Jilava sans
chemise, n'ayant pas le droit de
recevoir des colis; je me débrouillai pour lui en trouver une.
Le pasteur
Richard Wurmbrand, quoique malade, gardait l'espoir, essayait même d'encourager les gens mettant l'accent sur la force morale de
l'homme. Il y avait encore le
professeur d'histoire Dumitru Florea, un homme dont l'orgueil et l'ambition contrastaient avec la
bonté du pharmacien Ionel
Ghionea.
Le professeur
Cornel Popesco, le tailleur Buia et quelques autres avaient constitué un parti
agrarien. Ils reçurent entre 4 et 5 ans
de prison. Après sa libération Buia fut responsable d'un atelier de couture, Calea Grivitzei; il eut sous ses ordres le même Albon qui
nous avait torturés en qualité de
commandant pendant des années au „ Canal de la Mort». Cornel Popesco contracta une cirrhose en prison, dont il mourut après sa
libération. Les avocats Spiru et Gogulesco étaient accusés d'être des ennemis du peuple.
Ulea et
l'instituteur Marinesco, tous deux de Câmpulung Muscel, connurent eux aussi les catacombes de
Jilava.
A un moment donné,
vers la fin septembre, la porte de la chambre 8 s'ouvrit et nous vîmes un homme en sandales et chemise à manches courtes. Il se
précipita dans les bras de Ianco Petresco lui disant les larmes aux yeux:
- Regarde, Ianco, dans quel état je
suis après avoir lutté de mon mieux
pour la classe ouvrière. Je n'ai plus rien. J'ai dû partir avec eux comme ça,
en chemise et en sandales, soi-disant «pour 5 minutes». Tout cela à cause de ce parvenu, D. R. Ioanitesco professeur
universitaire, grand démagogue, ex- ministre du travail. Il avait collaboré avec les communistes après le 6 mars, il fut
le secrétaire de Nicolae Lupu après le 8 janvier 1946.
Revenu à lui,
notre bonhomme se mit à pérorer contre le régime. Il nous dit son admiration pour nous, les jeunes, et nous demanda de ne
pas oublier son fils, au cas où les temps changeraient, car il ferait un bon chef . . .
Dans les cellules
9 à 14 se trouvait à cette date: Halmaghi Ion, homme très cultivé; Dumitru Groza, chef du corps ouvrier dans le mouvement légionnaire, accusé
pour les assasinats du 29
novembre 1940 à Jilava, accompagné en permanence de Cretu, un instituteur de Banat. Un autre groupe était formé de Ion Jijie, étudiant à
Polytechnique, et de trois autres
légionnaires qui, condamnés à mort, furent exécutés: Puiu Floresco ; Spiru Obreja et Seco Serban. Ionutz Stoica, du même groupe avait
trouvé la mort en luttant contre la
Sécurité.
Un autre groupe
arrêté le 15 mai 1948 du Bucarest: Ilie Dumitm (ing.agronome), Nacu George(avocat), Paunesco Alexandru
(ing.agronome),Vladesco Virgil (ing.agronom).
Au printemps de 1948, Augustin Popa,
étant à Paris, écrivit une lettre
à Victor Anca, avocat à Bucarest, au nom du Comité National Roumain dont le chef était le général Radesco, pour que celui-ci envoie en
Occident un mémorandum sur la
situation politique, sociale et économique en Roumanie. Victor Anca discuta
avec un groupe d'intellectuels
national-paysans de Bucarest et de Brasov; ils tombèrent d'accord pour
que le mémorandum soit rédigé par
les professeurs universitaires Herlea Alexandre et Victor Jinga de Brasov. Le mémorandum fut envoyé en Occident par l'ambassade de
France. Un deuxième mémorandum
addenda et une mise au point du premier, furent interceptés par la Sécurité, qui procéda à des arrestations, le 15 août 1949.
Le groupe de
Bucarest comprenait: Victor Anca, chef du groupe; le professeur universitaire Dumitru Gerota; Gabriel
Tzepelea; l'avocat Ion Lugojanu; Bibi Popesco et l'avocat Eugen Hatzieganu. Ce dernier fut
atrocement torturé pendant
l'interrogatoire par Brânzaru et Vida Nedici, l'espionne de Tito, qui lui administra la flagellation des parties génitales, dont j'ai
parlé.
Victor Anca fut
condamné à 10 années de prison et les autres membres du groupe à des peines allant jusqu'à 7 ans.
Le groupe de
Brasov était formé des professeurs universitaires Alexandre Herlea, Victor Jinga, Ton Marta, chef de l'organisation du PNP de St.
Gheorghe, Iosif Scor-tea, chef de
l'organisation PNP de Tantari, département de Brasov; Nicolae Juga, chef de l'organisation PNP
de Baciu, celui-ci n'a pas
participé directement à la rédaction du mémorandum.
Le professeur
universitaire Ghitza Dragos de Brasov, le journaliste Vasilica Munteanu, le docteur Alexandru Suciu, chef de l'organisation du
PNP, tous deux de Brasov, Aurel Têtu, chef de l'organisation PNP à Miercurea Ciuc, l'avocat Emile Cosgarea, chef de
l'organisation PNP de Fagaras, le
colonel Demetriad, furent arrêtés et subirent un interrogatoire concernant l'affaire du
mémorandum. L attitude du
colonel Demetriad ne fut pas très nette.
Ils étaient accusés d'avoir agi contre
la Sûreté de 1 Etat. A. Herlea
et Victor Jinga furent condamnés à 5 ans de prison, les autres membres du groupe à des peines plus egçres. Ces peines comparées à
celles qui furent appliquées à Bucarest étaient plutôt clémentes. C'est pour :cette raison que le colonel Lazar, le président du
tribunal de Brasov fut destitué et arrêté. Après lui l'interrogatoire fut confié à Kalosek, commandant de la
Sûreté de Brasov, au capitaine Olteanu, aux officiers Dobay et Szilay. Le
professeur Herlea fut sauvagement
frappé après le procès à la prison de Brasov par l'officier Mayer, un ancien boucher, qui fut parmi les premiers à demander
son départ pour Israël. L'arrestation du groupe Anca coïncida avec l'arrestation massive des national—paysans dans tout le
pays. Au cours de la nuit du 15
août plus de 5000 personnes furent arrêtées. Voici les noms de quelques uns de ceux qui passèrent par Jilava: l'avocat Anghel
Nicolae, chef de l'organisation à Buzau, Gheorghe Simionesco, chef de l'organisation à Covurlui; l'avocat Ion
Manta, secrétaire de l'organisation de Buzau; Georgesco-Bârlad chef d'organisation; l'avocat Lupesco,
chef de l'organisation à Râmnicul Sarat; Dinca Schileru et Aristica Schileru de Gorj; le professeur Ilie Ioan, chef de l'organisation de
Dolj, un homme d'un caractère
irréprochable qu'on garda sans jugement pendant sept années en prison , malgré son diabète; Radu
Cioculesco, chef de
l'arrondissement de la capitale; l'avocat Zagan; Aurel Dobresco, chef de l'organisation de Fagaras;
l'avocat Faina Liniciu; Constantin Zamfiresco—Coteasca, ancien ministre, un démocrate convencu;
l'avocat Roxin d'Oradea; l'avocat Bozdoc de Târgu Mures; Stefan Mihailesco caissier PNP; le docteur Chiliman; Dumitrescu
ancien secrétaire général au
Ministère des Finances. D'autres personnalités encore: le professeur George Fotino, doyen à la
Faculté de Droit; Mihail
Manoilesco ancien Ministre des Affaires Etrangères; le professeur universitaire Marin Enachesco; le professeur universitaire de
procédure civile Coco Dumitresco; le professeur universitaire de droit administratif Anibal Teodoresco; le professeur Gh.
Léon; le professeur George Strat, un homme remarquable mort en prison; le professeur universitaire Fintesco .
. .Ils connurent aussi la prison de
Jilava: le général Tobescu, chef de la gendarmerie, arrêté le 23 août; le général Radu Corne, un
brave et courageux officier;
les généraux: Ion Dumitrache; Artur Mociulschi; Gheorghe Mitrea; Filip Agricola; Caramitru; Constantin Cernesco; Ghedeon Seracim; Ion Ionesco;
général d'artilerie Paul Teodoresco;
Anton Ciachir; les colonels: Boteanu
de Deva; Badea Constantinesco de Craïova; Ciuca, colonel d'artilerie; Furlungeanu; Negoiesco; le prêtre gréco-catholique Tudor Vestinaru; Mircea
Zaganesco arrêté pour avoir eu des
relations avec l'étranger; Radu Leca,
ancien ministre; Radu Boros, avocat; Gheorghe Pas-co, avocat; Sibiceanu Nicolae; Durma Mircea;
Constantin Furnarachi; Izvoreanu Bebe;
Pop Bibi, le fils de Stefan Cicio—Pop;
Sandu Rosetti; Radu Izvoreanu; Serban Negretu, étudiant en médicine; Boanta, avocat de Sarmas; Dinu Teodoresco; Decebal Codreano; Ion Victor
Vojen, avocat; Moraru de Sarmas;
l'ingénieur Pribalschi, arrêté dans la maison de l'écrivain Gane; Virgil
Badiu,professeur; Parisianu, ancien commissaire de Police; le capitaine Voitin;
Popesco-Cetate, le procureur qui avait jugé
Ana Pauker; le professeur Mera
Mironesco, ministre en 1948. Il s'était opposé à la fusion du parti social—démocrate avec le parti communiste; Dan Cernavodeanu expulsé de
Yougoslavie; Remus Radina qui a eu le
même sort; les frères Comanesco de
Bucarest; Gherondache, commerçant; Alexandru Neagu, ancien ministre; Marinesco instituteur de Câmpu-lung-Muscel
; Sever Popovici, professeur à Bucarest; Tudor Voinea, ancien directeur au Ministère de l'Enseignement;
Parmi ceux qui
franchirent le seuil de cette prison il y eut deux collègues de faculté: Paul Paltânea et Paul Iordachesco. Ce dernier, d'après les
informations que j'ai pu avoir, n'est
jamais sorti de prison. Un autre camarade et ami dont la jeunesse fut sacrifiée fut Victor
Novac, Costel Ceaco, qui se
consacrait corps et âme à tous ceux qui souffraient et par là à la cause de la
nation roumaine sous le joug
communiste , il était tout naturel qu'il se trouvât à Jilava.
Les traîtres à la
cause roumaine qui hélas, étaient nombreux, ne s'attendaient pas à être récompensés par la prison pour les services rendus au régime. Ils
disaient:
«Nous les avons servis comme des
chiens fidèles» et parmi eux il y avait: George Capitanu; Motoc Andrei du quartier
Dudesti; l'avocat Nicolae
Guguianu; D. R. Ioanitesco; Starcea, père et fils, anciens agents de police, racontaient leurs
souvenirs, décrivant la moralité ,,amorale" de beaucoup de leurs chefs d'alors.
Parmi d'autres NP
il y avait aussi Grama Ion commerçant; Corbu, commerçant; Fanica Petco, un jeune de Dudesti Cioplea; Misu Culea.
L'arrivée des nouveaux venus était une source de souffrance. Souffrance physique qui
se lisait sur le visage de chacun, souffrance morale pour la famille restée à la discrétion des oppresseurs. Tandis
que nous étions jetés en prison pour de
longues années, nos femmes à la maison se trouvaient confrontées à d'autres
problèmes. Souvent chassées de leur
travail, elles étaient obligées d'assurer coûte que coûte l'existence de la famille. Les enfants
n'avaient plus accès au lycée;
quant à l'université, il n'en était plus question. Le but était la désintégration des familles. Les épouses étaient convoquées à la
Sécurité, obligées de témoigner contre leurs maris ou bien de divorcer. La vie était devenue bien pénible pour toutes ces
familles, souvent peut-être plus
pénible que la notre en prison. Nous étions au courant de tous ces problèmes, de ces soucis à
cause de nous, mais nous
étions incapables de les aider. Notre vie à nous était l'enfer concentrationnaire. Disposés comme des livres sur des étagères, en
slip, l'eau ruisselait le long des murs et des corps dans une chambre de 12 mètres sur 5 de largeur. D est difficile d'imaginer
misère plus grande que ces centaines
d'hommes entassés dans cet espace réduit. Le seul endroit libre était occupé par deux fûts
près de la porte, nos
tinettes. Il n'y avait pas moyen de bouger sans marcher les uns sur les autres. A partir de 22
heures quand arrivait l'heure
du coucher, une autre torture commençait. On tirait à soi une couverture qui
avait certainement déjà servi pendant la première guerre mondiale et on essayait de s'enrouler tant bien que mal
dedans, en nous allongeant le côté à même le ciment. Dans le
couloir, même chose, gens étaient allongés comme les
sardines dans leur boîte. Quand on voulait changer de côté on était obligés de réveiller le voisin.
Dans cet enfer, où
la vie n'était pas bien différente de celle des bêtes, une solidarité et une compréhension s'était créées entre nous, qui nous
sauvèrent de toutes les humiliations de notre situation et nous aidèrent à garder intacte notre condition d'homme. Il est
difficile d'imaginer comment nous avons pu survivre par centaines et
centaines, recevant
seulement 120—140 litres d'eau par jour pour boire et pour nous laver.
Chacun avait une
gamelle, mais personne n'avait de bassin à linge, de sorte que le linge on était bien obligé de le lever dans notre gamelle avec
un minimum d'eau et un savon qui
sentait le pétrole.
Mais il y avait
pire.. Pendant des mois entiers l'unique fenêtre d'un mètre 20 sur 2 demeura clouée. On était dans un véritable bain à vapeur. Quelle souffrance
pour ceux qui étaient malades
des poumons! La misère était indescriptible. A cause du manque d'hygiène la furonculose avait fait son apparition
couvrant la peau des détenus qui n'étaient plus que des squelettes. Un paysan de Muscel eut tout un
chapelet de furoncles, dont l'un sur le dos avait un diamètre de 7 cm environ. Il n'y avait pas de soins médicaux, pas de sulfamides,
rien.
On pouvait
prendre des bains toutes les 3 ou 4 semaines, mais quel enfer! On restait à peine sous la douche où l'eau froide alternait avec l'eau
très chaude.
Les repas, autre
torture! Imaginez 250 gamelles bouillantes dans une atmosphère suffocante où nos corps baignaient dans la
sueur. C'était pire que l'enfer.
Pourtant cela ne nous
empêcha pas de mener une vie intellectuelle. Chaque soir nous organisions des conférences suivies avec beaucoup
d'intérêt. Les unes étaient souvent suivies d'un débat. Pendant la journée, des groupes de discussion se formaient autour
des sujets qui suscitaient l'intérêt. Nous étions désireux de nous informer, de savoir et pour un court moment d'oublier notre
condition de détenus, nos soucis
pour nos familles à l'extérieur. Parmi les anciens agents de police certains racontaient
quelle avait été la belle vie
que les 10 détenus communistes menèrent sous Antonesco: non seulement ils ne manquaient de rien, mais ils vivaient mieux que chez eux
à la maison, comme je l'ai déjà dit
plus haut. Ces traîtres ne faisaient que respecter les décisions qu'ils avaient
reçues le 7 novembre 1947 de Moscou demandant la construction de ce canal Danube-Mer Noire qui deviendra le tombeau de
l'intellectualité roumaine.
Par un après midi
de novembre, nous sortîmes vider les tinettes. Elles étaient très pleines.. J'étais aidé par Ionel
Museteanu, mais dans le couloir étroit et mal éclairé nous eûmes la malchance de répandre un peu
de saleté par terre. Barbuica se
précipita comme un fauve sur moi m'attrapant la tête pour l'enfoncer dans la saleté. Ce faisant,
il y eut d'avantage de répandre
la saleté par terre. Pour montrer sa bonté il me donna la permission après
avoir nettoyé par terre d'aller
laver ma tête sous le robinet. Une autre fois la même chose arriva à un vieillard. Barbuica l'obligea à essuyer les
excréments par terre avec sa propre chemise qu'il lui avait arrachée. Les jurons et les coups
étaient à l'ordre du jour, souvent ils étaient plus pénibles à supporter que
durant l'interrogatoire.
***
Vers la fin avril
1949 on arrêta 24 personnes, accusées d'avoir averti l'Occident du danger qu'encourait notre peuple de disparaître en tant que
nation.
Le NKVD soviétique désirant monter
un procès retentissant à
Bucarest, dressa le plan d'un rapt dirigé contre le commandât roumain I.V. Emilian qui menait en Occia nt une campagne contre
les oppresseurs. Le commandant russe en Autriche était chargé de cet
enlèvement. La tentative échoua.
Emilian s'est enfui à Linz, en Autriche et les 16 personnes travaillant pour les services secrets
des pays de l'Est furent arrêtées
par la Sûreté autrichienne.
Cet échec eut
comme conséquence à Bucarest l'arrestation de l'acteur Marcel Emilian, frère du commandant I V- Emilian. Parmi ceux qui aidèrent
la Sûreté et fournirent sur demande
de fausses informations se trouvaient les acteurs Giovani et Fory Etterle.
Le
tribunal prononça trois condamnations à mort contre:
-Dan Tetoriam,
breveté du lycée militaire «D. A. Sturza» de Craiova, officier de cavalerie, sous-chef des services d'informations de l'Etat
Major de l'Armée;
—Mihai Eliade,
breveté du lycée militaire de Chisinau, officier de cavalerie, chevalier de l'ordre Mihai Viteazu, chef du bureau des informations
de la division de Ploiesti et officier
de liaison auprès du commandement soviétique de la région pétrolière;
—Marcel Emilian,
breveté du lycée Andrei Saguna de Brasov et du conservatoire d'Art Dramatique, classe de Ion Livescu, acteur du théâtre
Maria Filotti de Bucarest. Gravement blessé au front en première ligne au cours des luttes de Harcov
et Donet en juillet 1942, il allait mourir comme un martyr à la place de son frère, le
commandant I-V, Emilian.
Au matin du 13
décembre 1949, le réveil ne sonna pas à l'heure comme d'habitude, ni à six heures. Inquiets, nous nous demandions ce qui se
passait. Après 7 heures nous
entendîmes trois rafales d'armes automatique. Une demi-heure après on nous servit pour la première
fois une bouillie de farine de
mais très délayée, sucrée. Au courant de la journée nous apprîmes que trois condamnés a
mort avaient été
exécutés: Eliade, Tetorian,
Emilian, accusés «d'avoir aimé leur patrie ». Cette bouillie de farine de mais qu'on nous avait servie le
matin était un geste de solidarité tacite, en signe d'offrande pour ces héros que devaient suivre des dizaines de
milliers de sacrifiés sur l'autel des souffrances du peuple roumain.
***
Nous ne sortions
que rarement de nos cellules, seulement lorsqu'il y avait quelques travaux à effectuer: par exemple, choisir les carottes et les
pommes de terre pour l'hiver. Beaucoup d'entre nous étaient contents de pouvoir respirer un peu d'air frais et de
manger quelques pommes de terre crues. La faim qui les tenaillait était si grande qu'ils ne pensaient plus à leur santé.
D'ailleurs, depuis que j'avais vu des hommes arracher l'herbe pour calmer leur
faim, rien ne pouvait plus m'étonner. Bien entendu l'estomac s'en ressentait et beaucoup eurent des
problèmes longtemps après.
Les promenades dans la cour, qui
duraient entre 30 et 60 minutes selon
le bon plaisir de l'administration, nous permettaient d'échanger des impressions, des nouvelles.
Parfois des groupes apprenaient
le soir qu'ils devaient se présenter le lendemain matin au tribunal, devenu une usine de distribution automatique des peines. A leur
retour nous avions d'autres sujets
de conversation: qui était présent, qu'a dit la famille, qu'a dit l'avocat? Toutes ces
discussions nous aidaient à deviner
l'atmosphère qui régnait à l'extérieur. Vers la fin du mois d'octobre quelques jeunes devaient
quitter la prison, parmi eux
se trouvaient Grigore Dumitresco , Gica Vatasoiu, Burca. Mais quitter une prison c'était en général pour aller dans une autre.
J'appris deux années plus tard qu'ils se trouvaient à Pitesti. Moi, j'étais au Canal et la nouvelle me parvint que le 6 décembre
1949 avait commencé à Pitesti ce
qu'on appela la «rééducation» qui fut
l'une des plus atroces
expériences infligée à la jeunesse, ordon-né par le régime communiste et mise en application
par les criminels: Teohari
Georgescu, Dulgheru, Zeler, Nicolski. Des détails suivront dans un autre chapitre.
En dépit des conditions
pénibles de notre existence, ne solidarité indestructible nous unissait, la seule force de lutte contre les dangers à
travers les siècles. La joie, le chagrin d'un seul étaient la joie
et le chagrin de tous.
Les fêtes de Noël
étaient pour nous tous l'occasion de revivre nos anciennes coutumes. Nous écoutions dans le recueillement ces chants de Noël
de toutes les régions habitées de
roumains ,de Balcic à Satu Mare, du Dniestr à Vârset. Les journées s'écoulaient
péniblement dans l'attente des
procès. Des paquets de Noël commençaient à arriver pour ceux qui avaient écrit à leurs familles. J'écrivis
moi aussi pour dire que j'étais bien portant, mais je ne demandai rien. Comment aurais-je pu
demander quoi que ce soit à une
mère malade qui avait à peine de quoi vivre
elle-même? Mais ma lettre ne parvint pas à destination.
En février il y
eut une surprise. Très peu de détenus étaient libérés après 6 mois de
détention; ce fut le cas chez nous pour 7 ou 8 personnes: Vladimir Mihail qui devint l'homme de la Sécurité,
Anton, Blacioti, Grama, Botgros. Pour
les autres, le jour de la libération était encore loin...
Pleins d'espoir dans la
bonté divine nous passâmes la Semaine Sainte et fêtâmes Pâques, la Résurrection du Christ, dans la conviction et la foi de notre
Eglise orthodoxe. Dans toutes
les prisons, même ceux qui étaient relégués dans les isoloirs, la Résurrection du Christ était fêtée avec toute la
piété chrétienne conviant à la
méditation, à l'approche du mystère. Cela me rappelais les vers écrits pour le Vendredi Saint par
mon ami Remus Radina.
Au mois de mai, deux Yougoslaves de
la cellule 6, des condamnés, réussirent à s'évader.
L'un d'eux s'appelait Obradovici. On ne les retrouva pas. Alors ils se vengèrent sur nous. On nous obligea à
passer entre deux rangées de gardiens
armés de manches de pioches et les coups pleuvaient sur nous. Les malades et les vieux trébuchaient et tombaient. Mais ces brutes
continuèrent et nous fûmes obligés de passer deux fois sous ces fourches
Caudines, la soif de cogner de
ces brutes neconnaissant pas de limites. Nous sortîmes de là complètement défigurés, pleins de bosses, ruisselants de sang. Dans le silence, une
voix prononça ces paroles: «Où
sont-ils Roosevelt et Churchill pour regarder de quelle façon on nous a libérés du fascisme?»
Cela faisait
maintenant une année que je me trouais en prison. Au soir du 10 octobre 1950 on vint nous annoncer que le
procès aurait lieu le lendemain. Le lendemain, à l'aube, on nous fit sortir dans les isoloirs pour nous préparer.
Nous étions en tout 29 personnes et beaucoup d'entre nous se voyaient pour la première fois. La Sûreté voulait
intenter un procès contre La Jeunesse Universitaire National-Paysanne. Sous escorte sévère, on nous conduisit au Tribunal militaire de Bucarest.
Le colonel magistrat
Marinesco présidait. Le procureur, dont j'ignorais le nom, après avoir fait l'appel, lut l'acte d'accusation, nous déclarant coupables
d'organisation subversive à l'encontre de l'ordre social, ainsi que de transgression de l'article 209; P, III du Code
Pénal, coordonné avec les articles 304 et 463 du Code de la Justice Militaire. Il dit que nous avions
cherché à réorganiser l'école des cadres de la jeunesse du Parti
National-Paysan que des écrits, gardés comme pièces à convictions au dossier, avaient été publiés, qu'on cherchait par des
réunions et des discussions à dénigrer le régime populaire...L'activité de chacun pouvait être prouvée par les déclarations de
X ou Y à la page nr. du dossier.
Je suivis
attentivement la marche du procès et ce qu'on disait de chacun. De moi, il était dit que j'étais récidiviste. Je me rendis compte que
je ne pouvais pas échapper à une
punition substantielle.
La lecture de
l'acte d'accusation dura une heure et demi. Ensuite, on nous évacua pour procéder à l'interrogatoire. Sur la
table du président se trouvait un volumineux dossier de plus de 1000 pages, portant le nr.1384/1950. Cela me rappelle la remarque que l'adjudant Fatu qui nous avait accompagné
au tribunal avait fait en
voyant le gros livre: -«C'est vous qui avez écrit ce gros livre?». Bourceanu qui aimait plaisanter
lui avait répondu: «Oui, monsieur l'adjudant, c'est nous».
- «Diable, vous êtes des malins, combattez bien»! Après l'interrogatoire, on prononça les
condamnations:
1) Ion
Barbus, président de
la Jeunesse Universitaire du PNP , récidiviste, condamné à 15 années de prison,
2)
Adrian Marino,
ancien assistant de George Calinesco. A mon avis il était entré dans cette réorganisation dans le désir de se créer une plate-forme
électorale. Il était capable, mais n'avait point de caractère. Il le prouva après sa libération quand, pour se
réhabiliter, il accepta de faire le jeu de la Sécurité sous la couverture d'un homme de culture. Il fut condamné à 10 ans de prison.
3)
Victor Coconetzi,
ancien membre du PNP, réfugié de Transylvanie du Nord, celui qui effectivement
assuma le rôle d'imprimer
les débats de l'école des cadres. Il reçut 7 ans.
4)
Heul Emanoil 7
ans de prison.
5)
Paul Lazaresco 7
ans de prison.
6) Cicérone
Ionitoiu. C'était mon tour. Je ne sa vais pas ce que les
autres avaient déclaré. Une chose était sûre, c'est qu'ils ne pouvaient rien dire contre moi, et de toute façon les dés étaient jetés. Je m'adressai
au président, lui demandant
de consigner ce
que j'allais dire, car au dossier il n'existait aucune preuve incriminable
contre moi. Il fit un signe au
greffier et je commençai à parler. Je suis persuadé que cette déclaration se
trouve dans mon dossier et je tâcherai
de la reconstituer après 30 ans avec à peu près les mêmes paroles que je prononçai alors:
«- Je me demande quelle est la
raison pour laquelle je dois comparaître aujourd'hui devant vous, avec mes amis. Je ne vois pas en quoi ce procès me
concerne et pourquoi on m'accuse
de faits que je n'ai pas commis, de plus, il n'y a aucune preuve au dossier contre moi. Il est
vrai que je suis récidiviste
,mais ceci uniquement par la faute du régime qui a institué des simulacres de procès basés sur des faux témoignages et des mensonges. Dans un régime démocratique, de tels procès
politiques ne devraient 'as exister. L'acte d'accusation déclare que nous avons agi contre l'ordre social. Je me demande
quel est cet ordre. Si c'est celui qui
règne aujourd'hui, personne n'en veut, toute la nation roumaine est contre, car après avoir été
instauré par la force le 6 mars
1945, on a truqué les élections du 19 novembre 1946, faisant fi de la volonté
du peuple. C'est le régime qui devrait se trouver sur le banc d'accusation, pas
nous. J'ai été membre du Parti National-Paysan dont le chef était Iuliu Maniu qui jouissait de la
confiance du peuple. C'était un parti
démocratique qui s'était donné comme tâche de résoudre les problèmes préoccupants de la nation roumaine et qui avait comme but de
défendre les droits de l'homme par la
parole et non par la force, selon les préceptes de la morale chrétienne qui prêchent l'amour et
la fraternité entre les hommes.
Je reste fidèle aux principes démocratiques qui donnent à tous, non seulement le droit d'exprimer librement leurs idées, mais
aussi de participer à toutes les manifestations publiques où l'on débat le
sort de tout un peuple et de
contribuer à la mise en pratique des décisions. Les grands partis doivent veiller à ce que
les petits partis puissent
jouir de la même liberté et des mêmes droits que les autres pour imposer leurs points de vue et
assurer les meilleures
conditions pour une bonne circulation des idées. Il n'y a que de cette façon qu'on pourra assurer le
progrès de la civilisation. La
liberté est le seul attribut qui permette cette confrontation entre des hommes dignes de ce nom. Les écrits ou la parole doivent être vos
seules armes de combat. Je suis
un adepte du nationalisme que mon parti a inscrit parmi ses principes. La population de la Roumanie, en majorité paysanne, n'a jamais
connu de misère plus grande et cela
non seulement à cause des suites de la guerre et de l'inflation galopante, mais
aussi d'une réforme agraire qui n'en était pas une. On ne promet pas de^ terres aux paysans pour les reprendre ensuite.
Pour le peu qui leur restait, on leur
avait imposé des quotas tellement lourds qu on peut dire qu'on leur a ôté la dernière bouchée de pain. En créant des conditions de vie
normales et justes pour tous, on serait en mesure d'améliorer et d'élever le niveau de vie du paysan.
La justice
sociale que nous voudrions instaurer concerne principalement la classe paysanne. Une réforme agraire s'impose, mais pas comme elle
a été faite : promettre aujourd'hui pour reprendre demain. Notre devoir est de donner aux paysans la possibilité de
faire valoir le produit de leur
travail par des coopératives villageoises librement organisées et dirigées par eux. Parallèlement,
toutes les autres catégories sociales jouiront de la même liberté dans un climat sain qui mènera à la
prospérité sociale préconisée par la
politique du PNP.
Pour avoir défendu
cette idéologie, nous nous trouvons devant un tribunal qui juge coupables les aspirations du peuple roumain. Aujourd'hui, nous
sommes en prison mais demain nous
pourrions être libres car aucun régime imposé par la force et qui mène une politique contre les
intérêts de la nation n'est
promis à une longue vie.»
Je fut étonné de
voir que presque tout ce que j'avais dit avait été noté. Après avoir lu, je signai. De retour dans le boxe, quelques uns de mes amis
m'embrassèrent. La séance fut
suspendue. J'étais content d'avoir atteint mon but car j'avais discuté avec un ami qui était aussi
d'avis qu'il fallait faire de
ce procès un procès des principes du parti.
Nous, la jeune
génération qui, au fond, n'avions pas connu de jeunesse, nous nous sommes jetés dans la lutte sans chercher à récolter des
bénéfices personnels, mais par le désir de faire quelque chose pour le peuple roumain qui était à un tournant de son
histoire.
On m'avait traité
de romantique, de don Quichotte. . Mais j'estime que je devais dire tout ce que j'avais dit. Je n'avais plus rien à perdre. . .
que les chaînes. . . Celles-ci, je les ai perdu 30 ans après. Chacun a le droit de me juger comme bon lui semble. Voici la
liste des condamnations :
7) Dan
Cruceanu, condamné à 5 ans de prison
8)
Vili Bourceanu, avocat et professeur, ancien président
de la section des élèves,
condamné à 4 ans de prison.
9)
Petrica Iordache,
avocat, condamné à 4 ans de prison.
10)
Costica
Cristesco, ingénieur, condamné à 3 ans de prison.
11)
Misu Culea, économiste, condamné à 3 ans de prison.
12} Victor
Goantza, fonctionnaire, condamné à 4 ans de prison.
13) Ionel Museteanu, étudiant, condamné à 4 ans de prison.
Dans la maison de
Museteanu, 2 rue Maica Domnului on avait passé au duplicateur les thèmes de l'école des cadres. Il a été fusillé à
l'intérieur du camp de travaux forcés de Poarta
Alba.
14) Traian Chindris, étudiant, condamné à 4 ans de prison.
15) Vasile
Ionesco, étudiant, condamné
à 4 ans de prison.
16) Eugen
Mailat, condamné à 5 ans de prison
17)
Mihail Cristesco,
étudiant, condamné à 4 ans de prison.
18)
Ion Boldoi,
étudiant, condamné à 4 ans de prison.
19)
Valeriu Popesco,
étudiant, condamné à 4 ans de prison
20)
Bebe Comanesco,
étudiant, condamné à 2 ans de prison.
21)
Popilian
Constantin, avocat, condamné à 4 ans de prison
22)
Dumitru Mitrea,
comptable, condamné à 4 ans de prison.
23)
Hie
Branzei, medicin, condamné
à 4 ans de prison.
24)
Dima Sébastian, économiste, condamné
à 4 ans.
25)
Mitrache
A.Alexandru, étudiant à
l'Académie condamné à 4 ans
de prison.
26)
Dan Alexiu, condamné à 4 ans de prison.
27)
Marin Nicolae, condamné
à 4 ans de prison.
28) Marcu, plombier, condamné à 4 ans de prison
Après l'interrogatoire, suivit
le réquisitoire du procureur, par lequel on exigeait notre condamnation. Les avocats de la défense ont plaidé pour défendre la
cause
des accusés. Lorsque mon tour arriva,
je demandai la permission de
me défendre car je n'avais pas
d'avocat. On me demanda s'il n'y avait pas un délégué pour
plaider ma cause, mais il n'y avait
personne. Ils avaient oublié de nommer
quelqu'un ou bien, par manque d'accusations, ils jugèrent que cela n'était pas
nécessaire. Alors un petit vieux se
leva et demanda la permission de plaider la cause du «petit jeune». On la lui accorda et en quelques mots il
demanda mon acquittement par manques de
preuves.
Le 12 octobre
1950 on prononça la sentence No .979 par laquelle les condamnations sus
mentionnées avaient été
fixées. Par la décision 468 du 23 février 1951 cette sentence devint définitive. J'appris beaucoup
plus tard, après ma
libération, que le président avait regretté de n 'avoir pas pu manifester ouvertement son
admiration pour la façon
courageuse dont j'avais fait ma déclaration, en vrai détenu politique.
LE TRIBUNAL MILITAIRE DE BUCAREST
DOSSIER No. 1384/
1950
SENTENCE No. 979 du 12. 10. 1950
(Extrait): En application de l'article 209
P. III du
code pénal coord. avec
l'article 157 et 304 ainsi que 463, Cicérone IOANITOIU, 26 ans né à
Craiova est condamné à 5 (cinq) années
de prison ferme, 5 années de dégradation civique et 5000 (cinq mille) lei, frais de jugement, à partir du 15 août 1949.
***
Cette résolution de justice a été
rendue définitive par la décision no 468 du 23 février 1951 de la Cour
Militaire de Justice qui a repoussé
le recours de l'inculpé.
***
Ce présent extrait a été délivré sur
la demande No. 1907 du 30 .01.
1979
(ss) Pour
conformité
Quelques jours
après, nous fûmes mutés à la chambre 6, où les conditions de vie étaient encore plus pénibles. Même entassement, même promiscuité,
même fenêtre toute petite et
clouée. Vers la fin octobre, trois d'entre nous se sont évanouis après minuit. Il était
évident que le manque d'air
en était la cause. On demanda de nous ouvrir la fenêtre, mais personne ne consentit à le faire. On a pu sauver deux d'entre eux en
essayant de ventiler un peu l"air
à l'aide des serviettes. Nous nous relayions auprès de chacun. Le troisième mourut. Il
s'appelait Mânaru, ancien
directeur de la prison de Ploiesti jusqu'en 1944, il avait l'habitude de dire qu'un détenu ne
devait pas peser plus de 40
kilogrammes. Il disait cela quand il était directeur de prison. L'ironie du sort fait qu'il arriva à ce poids et qu'il mourut dans des
conditions tragiques. Le lendemain on
le sortit enveloppé dans sa couverture.
A la suite de cela on nous a ouvert la fenêtre.
Dans ces conditions nous
attendîmes l'inconnu.