Après la
liquidation des dirigeants de l'opposition, en particulier de Iuliu Maniu, le régime
dictatorial imposé par les Russes, a passé au
changement total du système économique par
des nationalisations dans tous les secteurs: industriel, bancaire, moyens de transport, confiscation des terrains agricoles, dans le secteur spirituel,
par la suppression de l'Eglise
gréco—catholique et l'interdiction de l'Eglise catholique.
Les arrestations
se multiplient dans tout le pays et pour n'importe quelle raison, seulement pour intimider la population. Ont été arrêtés
tous ceux qui détenaient encore des devises et de l'or. Pour illustrer cette situation dramatique du peuple roumain, je
cite une partie infime des victimes de
ce régime diabolique: Buchholz F. et Savescu Arnold pour 70 pièces d'or; Bancov Petre, Bancov Jean, Codrescu Ion; Cantacuzino
Constantin ( 2 ans de prison); Darvari Alexandra; Darvari Natalia (com. Stra-jestii de sus - Romanati); Garoflid
(342 dollars); Hurduc Gheorghe, de
Botosani (8 ans de prison); Jidoru (8 ans de prison pour 22 pièces d'or); Martini Mihai de
Cisnadie (3 ans de prison);
Poulieff Sonia/ Van Saanen (200 pièces d'or); Stanicel Andrei (5 ans de prison pour 1 pièce d'or).
Après mai
1948 ont été
arrêtés sous l'inculpation de sabotage économique: Almosnino (Société Standard ); Joseph Hartman (Sté. Fartex); Manole
Edelstein et l'ingénieur Alexandru
Nicolaescu (Sté. Sanitub);
Leiba Gluck (Sté. Belvédère).
Pour commerce
illicite d'or et devises ont été arrêtés: Fisches Carpes, Joseph Fischel,
Friedrich Gott, Segall.
A l'occasion de la prise
en possession des entreprises nationalisées ont été arrêtés plusieurs anciens patrons coupables d'actes punis par la loi
des nationalisations: N. Angelesco
(Fabrique de Chocolat); Dinesco Cornel, propriétaire du restaurant Aro; Dudesco
Gheorghe; Gross David; Haimovici Aizic; Heltzer Izi, propriétaire de la fabrique Klar; Henegaru Alex,
propriétaire de la fabrique Olimpul; Mircea Ionel, G. Trailoiu, Maria Teodoresco, les propriétaires de restaurant Mircea (2 ans de
prison); Marcon Corneliu; Niculesco Vasile (2 ans de prison) Parvu Traian, ing. Stefanesco Vasile
(entreprise Closani); Tomaziu
Constantin, directeur de la fabrique Talpa (2 ans de prison); Stolojan Radu, grand propriétaire
agricole condamné à 6 ans de prison pour la non-exécution des obligations agricoles; Aftalion
(propriétaire d'une blanchisserie et teinturerie);Nicolae Balan (8 ans de prison) et son épouse Aurélia Balan (2 ans de
prison); Herbert Csackes (10 ans de prison); Max et Sever Herdan (5 ans de prison); Harabagiu Mark (Marcitex); Hatieganu
Emil; Ionesco Titus,
journaliste; Libel Saro; Mauraber H; Moss G; Movila C-tin; Nedelcovici Matei; Pion Emil, fabrique
Scheg-Brasov; Ion Popa; Popesco
Constantin; Daniel Rosu (Derby); Zigu Reiss (20 ans de prison); Sideret V; Schwarz-man Haim; Stall Emil; Suciu Aurel;
Susnea Andrei; Weiss-man, propriétaire
de l'entreprise Apretura, s'est suicidé; Valahu Ctin; Weintraub Jacques et Joseph. L'ancien Président du Conseil
des Ministres G.G. Mironescu, Dimitrie Mironesco et D. Bragadiru furent mis sous l'accusation de sabotage économique pour la
mauvaise gestion de leurs
entreprises Bragadiru , qui
venaient d'être nationalisées.
Au mois d'août
1948 a été arrêtée une organisation de 30 personnes qui facilitait les départs clandestins à l'étranger.
* * *
L'évasion fiscale
fut un autre terme inventé pour des nouvelles arrestations et condamnations. Ainsi ont été pénalisés en 1948 pour des sommes non
payées à temps: Bercovici Isidor,
Léon David (pour un impôt exceptionnel de 4 millions lei); V. Sideviet; Z. Joanon, les représentants de la Banque des Céréalistes pour le
non payement d'un impôt exceptionnel
de 1.300000 lei; Susnea Aurel, 5 ans de prison; Marco (5 ans de prison).
* * *
L'hebdomadaire
artistique Cortina, dirigé par Mugur Va-lahu,fut supprimé par le gouvernement communiste en 1946.
En 1948, ont été
supprimés les journaux suivants: Argus, Semnalul, Cotidianul, Rampa, Agerpres.
* * *
La dissolution de
certains clubs sportifs: A.C.R. (Atletic Club Roman ); Viforul ;Dacia ; Brâuletzul; Clubul Roman de sky; Tenis Club; sous la
motivation que les dirigeants de ces
clubs n'ont rien de commun avec les organisations démocratiques, qu'ils sont incapables de faire à ses membres une éducation sportive
et civique, et qu'ils utilisent les
clubs pour maintenir la jeunesse dans une mentalité rétrograde, contraire à un régime de
démocratie populaire.
Autres personnes condamnées:
Creteanu Gheorghe 10 ans;
Constantinesco Atta, ) ans; General Iacobici Iosif,
10 ans; Neagu Alexan-; Pana Aurelian, ancien ministre,
10 ans; Petrovici professeur universitaire et ancien ministre, 10
ans; Docan V. Gheorghe 5 ans;
Ghitzulesco Tomai, ingénieur, 5 ans; Nemoianu Petre, ancien ministre 5 ans; Potopeanu Gheorghe, général, 5 ans; Constant C.
Alexandru, ancien ministre, 4 ans; Amiral Coslinschi Gheorghe; Amiral Pais Nicolea; Général Rosetti Radu;Roman Valer
(ancien ministre); Léon Gheorghe,Proca (journaliste); Victor Iliesco (général); Petre Strihan; Mircea Vulcanesco;
Valsanesco Radu.
Parmi les arrêtés de Moldavie on trouve:
Alexandresco Mihai
(avocat national-libéral de Buc-cecea); Chiper (avocat de Iassy); V. Mares (instituteur); Popa Gheorghe (instituteur); Spiridon Ion
(instituteur)...
«THE TIMES» (Londres), no. 51012 du 5 Mars 1948:
LE ROI MICHEL SUR SON
ABDICATION IMPOSEE DE FORCE
Hier, à une
conférence de presse à l'hôtel Claridge, le Roi Michel a déclaré que les motifs des profonds changements politiques imposés aux petits
Etats de l'Est de l'Europe sont déjà
trop bien connus.
En ce qui concerne
la Roumanie, il veut confirmer les faits tels qu'ils se sont produits:
«Le 30 Décembre
1947 (il dit), M. Petru Groza et M. Gheorghiu—Dej, membres du gouvernement roumain, m'ont présenté le texte de l'Acte d'Abdication, me
pressant de le signer séance tenante. Tous les deux sont arrivés au Palais Royal après qu'il eut
été entouré de détachement armés,
m'informant qu'ils me rendraient responsable de l'effusion de sang qui surviendrait comme conséquence des instructions qu'ils
avaient déjà donné au cas où je ne
signerai pas (l'abdication) dans le délai indiqué.
Cet Acte m'a été
imposé de force par un gouverne-ment installé et maintenu au pouvoir par un pays étranger, un gouvernement ne représentant d'aucune manière la volonté du peuple roumain. Ce
gouvernement avait violé les
garanties internationales qui l'obligeait à respecter la liberté politique du peuple roumain,
avait faussé les élections (de
1946) et annihilé les chefs politiques démocrates qui jouissaient de la confiance du pays.
L'élimination de
la monarchie constitue un nouvel acte de violence dans la politique d'asservissement de la Roumanie. Dans ces conditions, je ne
me considère obligé en aucune
manière par cet acte abusif, imposé à moi (de force). Avec une foi inébranlable dans notre
avenir, animé du même dévouement
et la même décision d'agir, je continuerai de servir le peuple roumain avec lequel ma destinée est inexorablement liée.
Sur le plan
international, l'année 1948 marque pour la Russie une nouvelle étape dans la consolidation de ses positions internes et externes.
Pendant que le 17 mars 1948 Harry Truman
dénonçait la politique russe d'asservissement des pays voisins, foulant aux pieds les droits de l'homme, la Russie dissout le
Comité antifasciste juif. Staline déclenche la lutte contre le cosmopolitisme et lance l'idée de défendre le
communisme contre les machinations des impérialistes. Suivant l'exemple de Hitler, il incite au nationalisme russe,
soulignant que la nation russe est celle qui a été appelée à diriger. Il commence la russification de l'Ucraine.
L'Union Soviétique impose à Allemagne des dédommagements de guerre. Elle donne des ordres pour
effectuer des épurations dans les démocraties populaires, la russification de la Bessarabie et de la Bucovine, des pays Baltes et de la
Pologne. Parmi les actions entreprises
pour la russification des territoires asservis, figurent les déportations, les domiciles forcés, les
emprisonnements, tout cela dans des régions très éloignées entre Volga et Vladivostok, et très
arides, gelées ou non défrichées. Le
chauvinisme russe était une évidence pour tous. Au cours de la période 1948-1954, les directives
de Moscou y furent suivies
à la lettre.
Au mois de septembre 1947, la
Russie, après avoir maté les
oppositions dans les pays de l'Est, cherche une direction unitaire. Une
conférence est convoquée en Pologne avec la participation de 9 partis communistes (la Bulgaie, la Tchécoslovaque, la France, la
Yougoslavie, l'Italie, la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et l'URSS) où Jdanov, au nom des soviets, examinant la
situation de l'après-guerre dit que
deux camps s'était créé: celui de l'impérialisme et celui de l'anti—impérialisme, ce dernier
étant représenté par la
Russie.
A cette occasion,
Milovan Djilas critique le parti communiste français pour avoir permis à de Gaulle de s'emparer de la Résistance et de s'ériger en chef,
formant un véritable gouvernement provisoire. C'était aussi une riposte dirigé contre Maurice Thorez
qui avait affirmé dans une interview
accordée au journal «Times», que le socialisme en France n'a pas besoin des Russes pour trouver sa voie vers la justice sociale, le
progrès et la démocratie. Si ce n'était pas de tendance, on peut quand même remarquer une pensée
convergeant et les communistes yougoslaves étaient encore à l'époque les
serviteurs fidèles de Moscou. On créa le
bureau d'information des partis communistes et ouvriers dans le but
d'organiser des échanges d'expérience et au besoin une coordination des partis communistes sur la base
du libre consentement. C'était une «Internationale » à l'échelle réduite avec le siège à Belgrade. Au fond, c'était un organisme qui
dictait les directives soviétiques aux
partis communistes du
monde entier.
Au mois de
janvier 1948, Gh. Dimitrov pensait à une fédération des pays danubiens et balkaniques (Albanie, Bulgarie, Tchécoslovaquie,
Grèce, Yougoslavie, Pologne, Roumanie et Hongrie). Les Russes mécontents, le désavouent disant qu'il n'était pas question de
faire une fédération ou une union
douanière de ces pays. Staline convoqua Tito et Dimitrov à Moscou pour leur suggérer une fédération bulgaro—yougoslave. Les
Yougoslaves ne furent pas
d'accord, ce qui mécontenta Staline.
Comme la
Yougoslavie avait envoyé deux divisions en Albanie qui était menacée par la Grèce, Molotov, profitant de l'occasion, exigea de Tito
un accord écrit par lequel il
s'abstiendrait à l'avenir de toute initiative unilatérale en matière de politique extérieure. Le 18 mars
1948, Staline rappela les
spécialistes soviétiques militaires et civiles de Yougoslavie parce qu'ils étaient traités comme dans tous les pays capitalistes. Les
dirigeants yougoslaves, Tito excepté, étaient traités de marxistes douteux. Le Comité Central Yougoslave fut convoqué
et souligna les principes suivants:
respect absolu de l'indépendance de l'Etat et de la nation yougoslave, toutes les petites
démocraties populaires
doivent rester indépendantes et souveraines,. mais solidaires de l'URSS-, il soulignait qu'il
était inacceptable que la
Russie étende son réseau d'information en Yougoslavie. Si les russes désirent des informations, ils procéderont par voie officielle et sur la base de
réciprocité.
Irrités, les
dirigeants soviétiques invitèrent les yougoslaves à plus de modestie, les convoquant à une
réunion qui se tint à Bucarest,
sans Tito. Celui-ci se rappelant les déboires de ses prédécesseurs avant la guerre en Russie s'abstint par prudence. La
Yougoslavie fut condamnée pour les raisons
suivantes:
—elle pratique
une politique aventureuse en ce qui concerne la liquidation du capitalisme,
—elle ne tient
pas compte de la démocratie du parti,
—elle nie la lutte
de classe dans les villages et n'entreprend rien contre les paysans riches.
—elle a dissous le parti dans le Front Populaire.
La Yougoslavie
était exclue du Kominform, Tito échappait à la tyrannie russe.
Toujours en 1948,
Staline commence en Russie l'action de suppression de quelques membres hautement placés. Il va agencer un mouvement de mécontentement dans les rangs des dirigeants du
parti sous le nom de l'affaire de Leningrad, au cours de laquelle furent tués Andrei Jdanov, secrétaire de Staline,
Kuznetsov, secrétaire du CC, Rodionov secrétaire du RFSR, ainsi que pas mal de leurs amis dans différentes régions.
L'ascension de Malenkov et de Béria commence.
Dans les pays satellites, Staline procéda de la
même manière, ordonnant d'éliminer les communistes issus d'une soi-disant résistance nationale. En
Pologne, Gomulka sera éliminé. Faisant suite aux directives de Moscou, la
politique de liquidation des
juifs communistes qui avaient servi partout les intérêts
russes, sera appliquée
dans tous les pays subjugués. Imre Nagy est écarté
du bureau du PC hongrois en
1948. Celui qui régnait dans ce pays était Mathias Rakosi, le plus servile des staliniens; on l'appelait le bourreau qui avait sur la
conscience des millions d'êtres humains, «notre père
Staline». Pour décourager ceux qui
auraient envie d'imiter Tito et pour s'inscrire dans la ligne anti-sémite dictée par Moscou,
on arrêta en Hongrie, le 16 juin 1949, Laszlo Rajk. Issu d'une famille juive, il avait consacré sa vie au
parti communiste, contribuant à son organisation dans l'illégalité. Il avait
participé en qualité de volontaire aux brigades internationales d'Espagne, avait été interné dans les
camps de travaux forcés en Allemagne. A cause des agitations à l'intérieur du camp communiste, Laszlo
Rajk fut accusé
d'être un espion fasciste, un trotskiste, allié et complice du renégat Tito. Dans ce procès truqué on prétendit qu'il avait fait
de l'espionnage en faveur de la
CIA, on l'obligea à reconnaître qu'il était devenu
l'agent secret des
fascistes hongrois que, d'après les indications reçues
de Tito, il avait voulu renverser le gouvernement hongrois et se ranger à côté des impérialistes. Laszlo Rajk fut pendu,
ce qui illustre bien la
reconnaissance des communistes. A la même époque, on condamne et exécute Tibor Szoni, Andréas
Szali, le général Podffy et le major
Korondy. Ianos Kadar, accusé de
titoisme, fut emprisonné.
Le procès de Hongrie servit de prétexte pour recourir à un autre, de plus grande envergure, en
Tchécoslovaquie. Le groupe
jugé à Budapest atteste, suivant bien entendu les ordres reçus des
soviétiques, que le centre des activités anti-soviétiques se trouvait en Tchécoslovaquie. Là, le terrain était préparé.
Conformément aux dispositions de
1946-47 pour exterminer
les partis d'opposition dans les pays socialistes, en
Roumanie on intenta un simulacre de procès à Iuliu Maniu, Ion Mihalache,
en Bulgarie celui de N.
Petcov, et au mois de février 1948 Eduard Benes, le président de la Tchécoslovaquie, fut écaré par un coup d'Etat. Au mois de
mars de la même année, Tean Massaryk,
le Ministre des Affaires Etrangères, se suicidait en se jetant par la fenêtre, selon la version
officielle, mais en réalité il fut assassiné.
En 1948, était installé en
Tchécoslovaquie, Gottwald, un homme
dévoué à Staline, vieux communiste, ancien ouvrier et qui disait à ses intimes que son maître était un monstre abominable. La mise
en scène du procès fut l'œuvre
des conseillers soviétiques Likhatsef et Komorov. En 1956, tous les deux seront condamnés et exécutés pour avoir été les principaux responsables
de 11 condamnations à mort et
de l'arrestation de cent mille Tchèques. Une autre victime des communistes fut Rudolf Slansky, ancien secrétaire général du parti,
vice premier-ministre; il faillit
se suicider au cours de l'interrogatoire, tellement il avait été torturé. Combattant résistant, il avait été parachuté sur le
territoire libéré, constituant le noyau de l'organisation du PC en Tchécoslovaquie. Il fut pendu. Vlado démentis, Ministre des
Affaires Étrangères eut le même sort. Sa femme était russe et elle fut envoyée à New York, où il
se trouvait, pour le convaincre de
rentrer, en lui promettant qu'il n'aurait aucun ennui. Ils tinrent leur promesse car il n'a
pas eu d'ennui, sauf qu'on l'a
pendu. Eugen Loebel, vice-premier ministre du commerce extérieur, qui essaya de redresser l'économie de la Tchécoslovaquie, fut
condamné à perpétuité. Iosif
Frank, secrétaire général adjoint du PC, passé par les camps d'extermination
nazis, finit par être pendu par ceux-là
même pour qui il avait lutté. Bedrich Germnder, ami du tout puissant Gottwald finit de la même
façon, c'est-à-dire pendu.
Karl Svab, vice-premier ministre de l'intérieur fut lui aussi condamné à
mort par pendaison. Otto
Sling, vieux communiste, combattant en Espagne, secrétaire du PC
communiste de Moravie fut récompensé par la corde.
Le Dr. Otto
Fischl, vice premier ministre et ministre des finances, homme très strict, veillant à ce que les capitaux ne
prennent pas la fuite vers l'étranger, n'échappa pas à la corde. Rudolf Margolius, troisième adjoint
au Commerce extérieur
échappa des camps de concentration allemands pour aller droit à la pendaison.
Arthur London, condamné à vie.
Frejka dont la femme ne voulut pas le voir avant l'exécution, sera pendu.
La situation économique
difficile des pays soumis par les russes mécontentait ces peuples à cause de la pénurie des denrées alimentaires: le
sucre avait disparu, de même la viande et l'huile. Les vêtements étaient rationnés, on manquait de tout. Les moyens
de transports étaient
inexistants. Tout ce qui était bon avait pris le chemin de la Russie. Les programmes économiques de
redressement ne pouvaient être
réalisés dans aucun domaine. L'industrie produisait des articles de mauvaise
qualité, invendables. La direction
des usines avait été confiée à des incapables. Les matières premières manquaient. La collectivisation n'avançait pas. On lui opposait
une résistance acharnée.
La Tchécoslovaquie
connut les hommes de Béria Lokhatsef et Komarov qui menèrent le jeu et qui en 1956 furent jugés et exécutés pour les abus commis.
* * *
Les provocations
des russes sont de plus en plus audacieuses.
Le 24 juin 1948,
à 6 heures du matin, toute la circulation qui relie Berlin à l'Allemagne de l'Ouest avait été arrêtée par les russes. Après
deux jours, le Président Truman décida de ravitailler Berlin par air. Ce fut la création du pont aérien.
Le 28
juin, le Kominform adopte
une résolution critiquant la direction du parti yougoslave pour
nationalisme et déclencha des
insurrection communistes dans le Sud-Est de l'Asie. (Philippines, Birmanie,
Malaisie, Java...)
Ici, en Java, le
18 septembre, des milliers de communistes furent tués, la direction du parti massacrée quand ils se soulevèrent, dirigés par Muso, sous les
instructions de Staline.
Pendant cinq
années, 1944-1949, en Grèce se succédèrent seize gouvernements.
A partir de
janvier 1947, la Grèce du nord est en guerre civile. Le responsable est Marcos, vieil
agitateur communiste.
Staline qui
n'avait cure de respecter la limite des zones d'influence établies à Yalta, croyait que s'il
essayait un coup de force en
Grèce, les Grandes Puissances mises devant le fait accompli, l'accepteraient. La Russie croyait le moment venu de frapper et
s'emparer définitivement des détroits pour s'assurer l'issue vers la Méditerranée . Staline envoya à
Marcos du matériel et les conseillers soviétiques sous la
direction du général
Sidor Kovrak.
Le 16 août 1947,
Marcos a annoncé qu'il a assumé les forces «démocratiques» dans la Grèce libre jusqu'à la constitution d'un gouvernement
provisoire. Cette nouvelle alarma les Bulgares et les
Turcs.
Trois semaines après la rupture entre
les Bulgares et Moscou, le 20
août 1948, Marcos est déchu de son commandement et puis, au ban du Parti communiste, accusé de déviationnisme, fractionnisme, césarisme
et d'être agent des
impérialistes. Le plan de s'emparer de Thessalonique, destiné à devenir la capitale de la
«démocratie populaire delà Grèce du Nord», échoua parce que les guérilleros communistes étaient épuisés
et décimés. Le but poursuivi par
Moscou de déclencher la lutte armée afin de s'emparer du pouvoir fut abandonné. Les russes qui ont sans doute réfléchi à leur entente
avec Churchill, concernant les sphères d'influence cessèrent d'envoyer de
l'aide à Marcos.
Les camarades
furent sacrifiés pour une soi- dissant «coexistence active», c'est à dire pour la réconciliation nationale pour
s'infiltrer et attendre autre temps.
Abandonnés par les
Russes, les rebelles commencèrent à perdre du terrain. Le 16 septembre 1949, Marcos avec quelques communistes grecs,
s'enfuient en Roumanie.
***
Vischinski,
surnommé Yalta, accuse à l'O. N. U. les impérialistes qui ourdissent une attaque contre l'Union Soviétique, pendant que Tito, devenu
hitlero—trotskiste, cria qu'Ana
Pauker prépare un complot contre lui.
En Pologne, le 5
septembre, Gomulka sera déchu, en même temps que Marcos fut relevé de son commandement pour « cause de maladie »
***
Le Komintern
(internationale communiste) dissous le 15 mai 1943 pour tromper les démocraties occidentales fut refait sous la
dénomination de Kominform en septembre 1947. Au commencement de 1948 on y attaqua le plan Marshall et le maréchal Jdanov, en 3
000 mots, publia une déclaration par
laquelle la Yougoslavie fut accusée de déviationnisme.
La Bulgarie
connaîtra la soif inassouvie de sang de certains généraux russes, Cernev, A. Alexandrov, Levy, Kme, A. Lacritchev, qui dirigeront
dans l'ombre l'extermination de
l'opposition et de ceux jugés dangereux, même s ils étaient
membres du parti communiste bulgare. Après les élections de Bulgarie, en 1947, G. M. Diutrov, qui risquait d'être arrêté, se réfugia à
l'ambassade américaine de
Sofia, d'où il partit pour
l'Amérique. En juin 1947,
le secrétaire général Nicola Petcov,
ainsi que autres
parlementaires se virent
retirer leur immunité parlementaire. A la sortie du Parlement,
le secrétaire général est arrêté
et condamné à mort. Nicola Petcov était le fils de l'officier Dimitrie Petcov qui fut le chef du mouvement militaire de Vladaia en 1918,
le premier qui se souleva contre le
roi Ferdinand I de Bulgarie, remplacé par Boris. Il y a eu d'autres condamnations parmi ceux qui appartenaient au parti agrarien
bulgare comme: Asen Stambulinski,
Boris Brinbarov, Vampirski, Ialea Gancev et P. Sabinski. Le parti social-démocrate eut aussi ses victimes, comme les opposants qui n'étaient
pas encadrés dans des partis.
La prison de Plevna débordait et les camps des travaux forcés de Ustian, Bosna, Balcic, Belene
et Lovici étaient remplis aussi. Au camp de Lovici le chef était un tzigane, une vraie brute.
En Bulgarie,
Traicio Kostov fut accusé aussi de titoisme. Gh. Dimitrov, secrétaire du PC
bulgare, élevé politiquement en
Russie, a voulu défendre Kostov, mais les Russes n'étaient pas d'accord. Ils avaient besoin de
ces procès pour intimider.
Dimitrov partit pour la Crimée (à Soci) où il tomba malade et malgré les soins reçus fut liquidé. Son corps fut embaumé et
expédié en Bulgarie, à travers la
Roumanie, le 20 juillet 1949. Traiciov Kostov, secrétaire général du PC bulgare fut condamné à
mort et exécuté. Il y eut
d'autres condamnations: Yvan Stephanov, Ministre des Finances; le professeur Petco Kunin, Ministre de l'Industrie; Sekelarov,
Ministre des Transports, considérés comme espions anglo—yougoslave, réhabilités par la suite.
Dominique
Desanti, journaliste communiste qui assista aux procès mis en scène dans les «démocraties» populaires, décrit dans son livre
—Les staliniens— , pag. 233, les derniers mots de Traicio Kostov, ancien
secrétaire du Comité central
communiste bulgare:
«Le 14 décembre à 14 heures, «dans
les derniers mots que je
prononcerai devant l'honorable Cour, je considère comme un devoir de ma conscience de déclarer
devant la Cour et par son entremise devant l'opinion publique bulgare et (ici il se tourne vers nous, dans
notre loee du fond de la
salle), devant la presse internationale dont les représentants se trouvent ici, que je suis innocent, que je n'ai jamais été au
service de l'Intelligence Service que je n'ai jamais pris part aux plans conspirateurs et criminels de Tito et de sa
clique,. . . que ces aveux ont été ¦ • • «Brouhaha cyclone sur l'auditoire; le président hurlant, hurlant encore plus: «Que
demandez vous à la Cour»? »•
Fin janvier,
la jeunesse universitaire du
PNP fera connaissance
avec «l'usine à procès». Nous étions incarcérés dans des dortoirs communs, rue Uranus, où
régnait une misère
noire, principalement à
cause des punaises. Impossible
de dormir, malgré
les quantités industrielles de DDT utilisées
pour nous débarrasser de ces
infâmes bestioles. Nous y
restâmes environ un mois. A l'extérieur l'existence devenait de
plus en plus
difficile, la Sûreté faisait peur à tous. L'instruction de notre procès
fut me-e par le colonel Petresco
qui avait condamné des légionnaires et des communistes et qui par conséquent était devenu un outil facile à manipuler. Ce
chien a prononcé d'innombrables condamnations, tout en sachant que les procès taient
fabriqués de toutes
pièces. Il était secondé dans travail par le procureur Iorgu Popesco, homme sans scrupules qui
exécutait les ordres de
l'organisme de la te. Prévoyant ce qui allait suivre, cet homme se retira de la magistrature en 1948,se contentant du rôle d'avocat plaidant. Il plaida pour Cornel
Coposu à notre procès. On ne réussit pas
à prouver que nous avions agi à l'instigation du PNP. Au fond nous dîmes la vérité, à savoir que tout était parti de notre propre initiative et
que cela avait été un mouvement
de protestation contre les abus et les arrestations, prélude à la tragédie qui allait suivre. On nous
déclara coupables de délit de presse: impression et diffusion de tracts à contenu subversif. La loi
nr.124 en vertu de laquelle nous
fûmes condamnés datait de 1940. Je ne ferai pas de commentaire quant à l'origine de cette loi. Par nos déclarations le régime
avait été mis en mauvaise posture:
nous nous présentions comme membres du PNP, représentant du peuple roumain, ne reconnaissant pas sa dissolution. Nous affirmions que tout ce que
les tracts disaient, était
la vérité , ils annonçaient ce qui allait suivre.
Par la sentence
nr.412 du 26 mars 1948, les condamnations suivantes furent prononcées: Barbus Ion 2 ans de prison; Ceaco Constantin, 1 an et 6
mois; Ionitoiu Cicérone, 1 an et 6
mois; Ionesco Dumitru, 1 an; Ionitza C. Dumitru 1 an; Paul Lazaresco, 1 an; Jurebie Gh. 1 an; Mihalache Gh. 1 an; Manea Ion, 2 ans; Coposu Cornel,
2 ans.
Deux jours après on nous embarquait dans le panier à salade et en route pour Aiud. Un
voyage d'enfer. Nous étions tellement
entassés que nous ne pouvions pas bouger. On était assis jusque sur le siège du W.C. qui était au milieu et que nous utilisions comme
à l'époque des cavernes, tous en même
temps. Je vous fais grâce de la gêne que nous ressentions en des pareils moments. Ce ne sont pas les 900
communistes, dont la moitié avaient été les agents d'information de Sava Dumitresco au Service
Secret qui pouvaient nous
comprendre. Le manque d'eau fut une autre torture. Que faire avec un seau pour 100 personnes? On pouvait le remplir de temps
à autre mais c'était insuffisant,
surtout pour apaiser
notre soif après
avoir consommé du lard
salé et de la marmelade
A minuit nous
arrivâmes enfin a Aiud. La, cohue, bruit et cri des gardiens hurlant comme des forcenés ordonnant à ceux qui étaient enchaînés de
passer en premier. Nous pûmes voir,
se détachant du groupe, tramant leurs chaînes, Ghitza Pop, Ion Vetzëleanu et quelques autres damnés à plus de 10 ans de prison.
Nous avions le cœur erré II était
navrant de voir ces hommes, surtout Ghitza Pop, qui était de tous le combattant le plus acharné, qui avait risqué sa vie pour le droit
des Roumains de la Transylvanie, ayant été condamné à mort par les Hongrois avant 1918, s'étant échappé pour continuer à lutter
aux côtés de Pantelimon Halipa
à Chisinau pour le même idéal national et qui après tant de sacrifices se voyait récompensé par des chaînes et une peine
de prison de plus de 10 années.
Dans cette prison
d'Aiud (Brucla), construite par l'impératrice Marie Thérèse, souffrirent dans la plus noire terreur des fils de la Nation
Roumaine dont le seul crime était de vouloir garder intacts l'héritage et la foi des leurs ancêtres.
Au printemps de
1948 la prison d'Aiud devait se transformer en une prison pour détenus politiques. Ceci parce qu'aux côtés des légionnaires,
des officiers supérieurs et des généraux, se trouvaient des criminels de droit commun redoutables tels que :
Sile
Constantinesco, de Bucarest, rue, Virgil Plesoianu. Après avoir tué ses parents il avait versé
dessus de l'acide sulfurique.
A cette époque, ayant déjà purgé 12 années de prison, il était entré dans les bonnes grâces de
l'administration. Bénéficiant
entre temps d'autres réductions de peine, il était libéré le 9 mai 1948.
Berila, un odieux
criminel. Il se vantait d'avoir assassiné 28 personnes.
Blazian,
un ancien étudiant de la faculté
de médecine. Après avoir tué
son amie, il avait coupé son corps en morceaux, dont il avait fait plusieurs paquets qu'il avait
disséminé aux quatre coins de
Bucarest. Il deviendra plus tard l'homme de confiance du Ministère de l'Intérieur à la colonie des travaux forcés de Poarta Alba.
Stefanesco,
ancien officier de Craibva. Il avait tué dans la rue une femme
âgée pour lui voler son argent.
Il y avait encore
deux criminels de guerre: un certain Domocos et un autre dont je ne me rappelle plus le nom qui avaient
participé aux horreurs de Ip et Trasnea, dépt. de Salaj, au mois de septembre 1940.
En ce temps-là
nous habitions seulement la nouvelle aile «T». Nous y jouissions d'une certaine liberté pendant la journée à cause des travaux de
canalisation. Le commandant était un certain Mares qui plus tard deviendra contre-maître. Petit de taille et très
méchant. Son aide s'appelait Temirov. A
la différence de Mares, il était compréhensif. Je ne l'ai jamais entendu jurer ou menacer, chose plutôt rare dans l'enfer des prisons
communistes. Par contre le gardien Rusu dépassait même le commandant en brutalité.
Pendant la
période mars-avril 1948 on amena à Aiud 2 paniers à salade par mois, remplis de membres du PNP et condamnés après le procès de Iuliu
Maniu. Parmi les nouveaux venus
citons :
—Le groupe déjeunes qui.
avait continué d'agir après la dissolution du parti et dans lequel on avait impliqué plus de 200 personnes (les cercles bien
connus avec leurs chefs: Ion Puiu, ing. Ion Diaconesco, l'avocat Alexandre Bratu). —Le groupe de l'organisation ouvrière
et son chef, l'ingénieur ion Vetzeleanu-
—Le groupe des militants qui avaient
témoigné au procès de Iuliu Maniu.
—Le groupe des résistants de la
région de Somes et Piatra Craiului, dont le chef était Ghitza Pop. —Le groupe de l'organisation de Severin de 15
personnes, dont un petit
vieux d'environ 70 ans Voitovici, homme simple mais courageux, et un jeune homme Târziu qui avait à peine fini son service militaire.
Ils avaient refusé de pactiser avec les oppresseurs. Le groupe Istrate Micesco, Ilie Imbresco, Nichifor
Robu, Ion Marian, etc.
Il y avait aussi
le groupe des «Blousons Noirs» dont le chef était le général Aldea.
Un groupe de
jeunes officiers qui ont eu un comportement exceptionnel, relevant le moral
des nouveaux arrivés, les
encourageant, leur découvrant la vie en prison. Parmi eux se trouvaient Colonel Alex.
Evolceanu, Mircea Holban,
Mircea Criveanu, Viorel Sassu, Ilie Boros, Brezeanu, le capitaine parachutiste Tantu et Mantu.
Aux débuts, la vie
à Aiud ne fut pas trop pénible. Nous jouissions d'un peu plus de liberté. Nous
sortions en promenade à raison de
plusieurs cellules à la fois, avec la permission de discuter entre nous. En avril, nous reçûmes du courrier; nous avions droit à
un paquet de 3 kg. de nourriture. Ce
régime dura jusqu'au mois d'octobre. A ce moment tout changea. L'avalanche des condamnations fut tellement grande que nous nous
retrouvâmes à 4 et 5 par cellule,
dormant sur le sol sans couvertures, nous couvrant de nos vestes. Mais notre désir de liberté
était si grand que nous pensions
que cela ne durerait pas. La nourriture était très mauvaise sauf la polenta assez consistante mais insuffisante.
En cette année les fêtes
de Pâques tombaient le 4 avril et comme si notre misère n'était pas assez grande, une vague de froid et un brusque gel
nous transit jusqu'à l'os. Cela ne
nous empêcha pas de fêter Pâques selon nos coutumes. Le matin nous eûmes chacun du pain béni et du vin pour la communion. Les
anciens qui s'étaient faits quelques
alliés parmi les gardiens et avec le concours de l'extérieur réussirent à nous faire vivre des
Pâques comme autrefois.
Malheureusement, l'administration gâcha tout. Cinq personnes de la cellule 50, j'étais parmi eux, furent appelés au dortoir des
gardiens où on nous apporta des seaux
d'eau et des torchons. Nous les regardâmes, faisant mine de ne pas comprendre.
Qu'attendez-vous encore? nous dit d'une voix bourrue le gardien Rusu.
—Bien, que faut-il faire? répondîmes-nous.
—Laver le dortoir, parbleu.
—Nous?
—Et qui donc?
—Jamais de la vie nous ne laverons le
dortoir de nos gardiens, répondis-je.
Rusu était devenu
écarlate de colère. Il prit un bâton et avança vers nous. J'attendais les coups, mais il demanda d'abord:
—Tu vas commencer?
—Non, répondis-je. Les autres refusèrent aussi.
—Ah! c'est donc
toi l'instigateur? Attend, je vais t'arranger, moi! Les quatre furent interdits de sortir pendant une
semaine. Moi, après m'avoir injurié, on me confia à deux gardiens pour m'emmener à la «noire»,
chaînes aux pieds. Je ne savais
pas ce qui m'attendais, mais j'allais faire connaissance dans les minutes qui suivirent avec «la noire». Au sous-sol une cellule
sans fenêtres de deux mètres carrés; une
odeur de moisi; enchaîné comme un criminel. J'avais aux mains des chaînes
auxquelles était attaché un poids
de 15 kg, une sorte de boule. Je ne pou-vas presque pas bouger. Pendant trois jours je ne devais pas recevoir de nourriture. Cela se
passait à 9 h du matin. Vers 11 h ma porte s'ouvrit et quelqu'un me jeta des torchons en me disant :«Bande tes
chevilles pour éviter d'être blessé par les chaînes.» Vers 2 h de l'après-midi la porte s'entrouvrit et on me glissa une
tourte avec ces mots: «Les gars de la
cellule te font savoir de tenir le coup, car demain ils vont commencer la grève de la faim, pour
te faire sortir de ton cachot.»
Je ne pouvais mesurer l'écoulement du temps que d'après les cloches qui sonnaient le
matin et le soir, pour annoncer l'ouverture et la fermeture des activités dans la prison. Je me couchai, mais aussitôt
je reçus la visite des rats que
j'éloignais de moi en faisant tinter
mes chaînes.
Ce jeu de
cache-cache dura trois jours ou plutôt trois nuits. Les troisième jour on vint me chercher et on me ramena
dans la cellule 50.
J'appris que mes
amis avaient déclare la grève de la faim par solidarité avec moi; en même temps une vingtaine de cellules avaient fait savoir que si on ne me
relâchait pas, elles
commenceraient elles aussi la grève de la faim- On sentait dans l'ombre la main de l'ingénieur
Vete-leanu qui dirigeait. Les
autres gars qu'on avait appelés pour laver le dortoir des gardiens, mis au courant de ce qui venait de se passer, refusèrent à
leur tour de le faire. Cette leçon incita les gardiens à réfléchir. Bien sûr
ils pouvaient passer aux
représailles, comme ils le firent plus tard, mais à l'époque ils étaient confrontés à un groupe trop
important de politiques et
ne savaient comment s'y prendre.
A l'approche du 1
mai 1948 les rumeurs d'une amnistie se répandirent de plus en plus. Les détenus de droit commun jubilaient, sûrs de leur
proche libération. Aussitôt après le 1 mai un procureur arriva pour s'entretenir avec les détenus du motif de leur
arrestation. Nous discutâmes pour dire
d'un commun accord que nous avions été condamnés pour délit de presse à cause d'un article qui n'avait pas été soumis à la
censure. Dumitru Ionesco, qui était avocat, réussit à s'informer; il nous dit
que ceux qui étaient condamnés à
deux ans de prison auraient une réduction de peine d'un an.
Dès que nous reçûmes cette nouvelle
tous vinrent vers nous et nous
fûmes littéralement assaillis d'un tas de commissions. Comme les gardiens ne pouvaient savoir qui allait partir, ils étaient
devenus plus coulants et il régnait une atmosphère de détente. Vu les sollicitations très nombreuses et comme nous
voulions rendre service a tous sans prendre de risques, nous décidâmes de faire une seule valise munie d'un double
fond et qu'une seule personne en
prendra la responsabilité. Comme on trouve toute sorte d'experts en prison, la valise fut rapidement faite et je pris sur moi le risque. En dehors des
cent billets on avait aussi
caché un mémorandum de 10 pages rédigé par Ghitza Pop et qui devait être présenté au Tribunal Militaire; une copie serait envoyée
à l'étranger.
Le 8 mai, ceux
d'entre nous qui devions partir, étions dans la cour avec nos bagages. En
dehors de nous il y avait 150 détenus de droit commun. Le sous-directeur Temirov nous parla de l'importance du décret
et de notre réinsertion dans la société. Les détenus de droit commun criaient
et remerciaient le gouvernement. Nous étions dans une situation délicate évitant de parler.
Parmi les autres détenus il y avait aussi Sile Constantinesco, celui qui avait arrosé ses parents d'acide sulfurique. A la
différence des détenus de droit commun qui étaient déjà libres, nous, les 6 qui avions été condamnés par le Tribunal
Militaire, nous devions nous rendre d'abord à la Sûreté, ensuite on nous laissa partir. Là, on nous avait soumis à un contrôle
des bagages. J'étais le dernier; les autres m'attendaient depuis longtemps dans la cour. Mais je m'attardais
longuement, d'abord parce que les sous-officiers qui contrôlaient se, mirent à parler sans se soucier de mon attente; ensuite
lorsqu'ils m'appelèrent je vidai d'un trait ma valise sous leur nez.
—Que faites vous?
—Je vide le
contenu pour que vous puissiez mieux contrôler ce qu'il y a à l'intérieur. Sortant finalement dans la cour je rejoignis mes
camarades qui étaient dans tous leurs états. Ils ne savaient plus comment interpréter mon retard et se
faisaient un tas de soucis. Après une année passée ensemble, un lien très étroit nous unissait, chacun était sensible à l'ennui qui
pouvait arriver à l'autre. Devant
l'ennemi commun nous n'avions qu'une seule possibilité de se sauver: l'union. Nous partîmes pour la gare d'où jusqu'à Teius, nous fûmes
accompagnés par des agents au cas où
l'envie de manifester nous aurait pris. Le lendemain, sur le quai de la gare du Nord à Bucarest on nous attendait
avec des fleurs. Nous pûmes téléphoner notre arrivée depuis Aiud.
Nous étions libres, mais plus comme avant. Les gens étaient plus craintifs. Nos amis
nous évitaient.