CICERONE IONIŢOIU. Tombes sans croix. Tome 1, Ed. Coresi, Freiburg, 1985, 545 p.

POSTFACE I

    Je me suis toujours posé la question si l'on n'a pas exagéré, quand on a montré et décrit les horreurs des camps et des prisons communistes de la Roumanie des années 1950. Parfois peut-être des mots et des expressions ont été trop souvent employés , mots qui ont été trouvés trop durs par les occidentaux. Parmi ceux-ci le mot «la mort»: «Du pays de la mort», «Le canal de la mort», «Les chiens de la mort», «Le testament de la Morgue». J'ai eu l'impression que par cette exagération on diminuait l'importance de ces témoignages, parce que, chose connue, ce que l'on exagère n'a pas de valeur. Et puis, je savais que nous, les Roumains, nous n'avons pas eu de chance dans l'histoire, comme disait Mircea Eliade: «Depuis des siècles, nous portons sur nos épaules, l'écharpe de la malchance.» Et je trouvais que nous devrions oublier certains gémissements et ainsi fortifiés, regarder vers l'avenir de notre pays, qui a besoin d 'âmes fortes . J'ai pensé aussi qu'il serait peut-être mieux de se contenter des livres de valeur de notre diaspora, comme «Dieu est né en exil», «Les nuits des Sanziennes», ou, «Au Dieu inconnu». Les derniers livres de la série «littérature concernant les prisons roumaines» m'ont montré, à moi- qui fus . épargné de passer par l'enfer communiste et de partager les souffrances et les douleurs de tant de compatriotes, combien mes critiques étaient injustes.
    Et après tout, nos amis occidentaux, aveuglés, ou mal informés pendant un certain temps, par une politique spéciale du régime communiste de Bucarest, ont oublié et oublient encore trop facilement le Goulag roumain. De Washington à Paris on a regardé très superficiellement les réalités roumaines des derniers 40 ans, on n'a pas accordé à notre pays l'attention qu'il méritait, on a été parfois, pourquoi ne pas le reconnaître, considéré en dessous de nos possibilités. Alors pourquoi ne pas parler à haute voix, même hurler, devant cet Occident indifférent et parfois hostile, des vérités roumaines, du communisme d'hier et d'aujourd'hui?
    Ces pensées m'ont envahi après avoir lu «Tombes sans croix», le premier volume du livre de Cicérone Ionitoiu avec le sous-titre: «Contributions à la chronique de la résistance roumaine, contre la dictature communiste ». Ce livre contient ses souvenirs, lesquels, comme il le dit tellement ému, dès le début, l'ont fait pleurer et écrire et pleurer. Ionitoiu était celui qui avait peut-être plus de droits que d'autres, de nous offrir ce témoignage Des années noires, parce que l'on a prononcé entre 1946 et 1963 pas moins de 6 condamnations contre lui. Il est passé par toutes les prisons , il a connu des interrogatoires et des enquêtes de toutes sortes, de la part des tyrans communistes, il a assisté à la torture, jusqu'à la mort des victimes, lors d'indescriptibles moments d'horreur, il a été poursuivi, chicané sans arrêt par la police politique, pendant plus de 20 ans, sans avoir pouvoir retrouver la paix. Cicérone Ionitoiu est le témoin de ces temps de malheurs et de tristesse, un témoin au vrai sens du mot, et c'est pour cela que sa déposition d'aujourd'hui devant le tribunal de l' histoire et de la conscience universelle, est extraordinairement bien reçue et précieuse.
    L'auteur ne veut surtout pas que les noms de ceux qui ont été torturés dans les prisons communistes ni des bourreaux soient oubliés. C 'est pour cela qu 'au début du livre , il publie une liste qui à son avis contient une petite partie des noms de ceux qui ont sacrifié leurs vies luttant contre la dictature communiste , et qu 'à chaque page nous avons 1 'occasion de découvrir, avec 1 'aide de l'auteur , les noms des arrêtés, qu'il a rencontrés, dans différentes prisons, ainsi que les noms de leurs bourreaux, des mouchards et des informateurs . .. Jeune étudiant dans les années 1944—1945 Cicérone Ionitoiu a connu la répression communiste qui s'étendait sur une partie de notre continent, de la mer Baltique jusqu'aux Balkans. Admirateur de Iuliu Maniu, combattant dans les rangs de la jeunesse national-paysanne, il a dû payer pour sa foi dans les idéaux démocratiques. Il a supporté tous les malheurs avec l' espoir chrétien dans ce monde qui l'entoure, parce que Cicérone Ionitoiu a été le témoin et la victime d'un monde et d'une époque de notre siècle, dans lequel le seul progrès (dans une partie du monde) a été de changer Auschwitz et Buchenwald contre Vorkuta et Pitesti. Et ceci après 2 000 ans de christianisme, 2 000 ans depuis la prononciation des plus beaux mots: «Aime ton prochain, comme toi même». Après au moins 2 siècles de découvertes scientifiques qui auraient transformé l'aspect du globe et au milieu d'une civilisation sans âme et sans sortie, Ionitoiu a été pris dans l'engrenage d'une société dans laquelle l'hypocrisie et le mensonge sont devenus des valeurs suprêmes et l'aide de son prochain dans le besoin, un commerce.
    Un autre mérite de l'auteur est de raconter simplement les événements qu'il a vécus, sans rhétorique, sans style. H veut témoigner, il désire que ses frères de souffrance ne soient pas oubliés par une postérité trop distraite ou trop préoccupée par l'actualité. Il rappelle le plus souvent possible les noms de ceux qui ont perdu leur vie dans les prisons de Jilava à Sighet et de Pitesti à Gherla, victimes du manque d'humanisme communiste. En pensant à eux recueillons-nous. Le livre a une valeur de document, mais je pense que «Tombes sans croix» est aussi un impératif: «Roumains, réveillez-vous!». Une valeur pleine de force, dans ce temps de léthargie et de manque d'énergie dans lequel se trouve le Roumanisme d'aujourd'hui. Le Goulag roumain, comme celui d'autres pays communistes, n'est pas un accident de parcours, une déviation du communisme, comme on l'a prétendu parfois. Il fait partie intégrante d'une doctrine qui n'admet pas d'autres opinions politiques, qu'elle détruit sans ménagements. Le communisme est possible seulement à ce prix. C'est là son vrai visage. Et même s'il existe plusieurs sortes de communisme, comme beaucoup des politologues le prétendent, elles sont réduites à «une» avec des traits communs: intolérance et répression. C'est pour cela que les témoignages publiés en exil sur les crimes des années '50 et les noms de ceux qui les ont rendus possibles doivent être rappelés tout le temps. C'est un haut devoir de conscience, pour ceux qui les ont vécus et ont réussi à arriver dans le monde libre, d'apporter ce genre de témoignages, utiles à l'Occident, et à nous les Roumains, n'importe où nous nous trouvons aujourd'hui dans le monde. C'est aussi une forme de générosité intellectuelle, de générosité spirituelle.
    Aiud, Gherla, Pitesti, Le Canal, sont les étapes du calvaire du peuple roumain, lequel, comme Cicérone Ionitoiu écrit, lutte depuis de milliers d'années pour la liberté et qui a été toujours sacrifié aux intérêts mesquins des grandes puissances. Un calvaire qui continue aujourd'hui aussi. Calvaire que nous les Roumains devons ressentir dans tout notre «être» et que nous devons voir dans toute sa profondeur, au dessus de nos petits égoïsmes et ressentiments passagers. Nous devons connaître la liste des martyrs sous le régime communiste et ne jamais l'oublier. Les livres sur les prisons communistes et sur les nombreuses victimes du communisme, doivent être pour nous un souvenir permanent, mais aussi un encouragement pour ceux qui un jour auront la difficile tâche de reconstruire une Roumanie libre et indépendante: parce que la survie d'une nation, la survie d'un peuple doit vaincre les vicissitudes de l'histoire.

Mihai Cismaresco

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POSTFACE II
Un survivant. . . écrit:

    Sur la table se trouve fermé le volume de Ionitoiu. Je l'ai lu. Les années d'angoisse et de cauchemar ont défilé à tour de rôle dans ma mémoire, une époque à laquelle j'ai été accroché plus de trois décennies. Dans ses pages j'ai rencontré mes collègues, mes amis des prisons communistes dans les quelles j'ai erré mieux qu'avec un guide touristique, j'y ai trouvé des connaissances et des ennemis. La chronologie des faits suit le fil de l'histoire dans cette mémoire d'éléphant qui est celle de Cicérone. Parce que, quel que soit le nombre de fois où il a réfléchi au sujet de la résistance roumaine contre le communisme, il lui a fallu faire appel à toutes les ressources de ses souvenirs pour énumérer avec une telle fidélité tant de faits, d'événements et d'hommes dont seules les annales de la Justice et de la Sécurité peuvent se souvenir.
    Je connais les grandes lignes de cette époque. Je connais vaguement ou partiellement, les grandes lignes de l'évolution ultérieure, mais sans connaissance approfondie des conditions sociales et politiques des années d'après guerre ; d'autres ne s 'en soucient guère. «Morminte fara Cruce » (Tombes sans croix) peut être conseillé comme un résumé historique de l'après guerre spécialement à la jeunesse qui a vu la lumière de l'Occident sans connaître les causes de l'obscurité qui l'ont déterminée à prendre le chemin de l'étranger.
    Le livre est conseillé à tous ceux qui veulent s'enorgueillir d'un passé historique sans connaître l'histoire du passé.
    Il est conseillé à ces écrivains historiens et hommes politiques que les événements de l'après guerre ont propulsé au-delà des frontières de la Roumanie, et qui écrivent aujourd'hui sans avoir vécu ces événements.
    Il est recommandé à beaucoup de représentants nationaux de l'Exil roumain, qui devraient apprendre à quel prix a été payé là-bas, dans les prisons communistes, le droit à la représentation.
    Il est également conseillé à ceux qui se permettent des considérations politiques ou morales à l'adresse des anciens détenus politiques, sans avoir revêtu, ne serait-ce qu'une fois, la tenue rayée, avec la fierté avec laquelle ils l'ont portée pendant tant d'années sans interruption.
    On le recommande enfin à tous les jeunes qui, ici ou en Roumanie, s'imaginent que l'histoire a commencé. . . en même temps que leurs premières protestations contre Nicolae Ceausesco.

    Le 6 mars 1945, un ordre social a été démoli et le désordre soviétique s'y est substitué. Pour la défense de la dignité humaine offensée et humiliée, pour la défense d'un passé et de la liberté que pendant des millénaires un peuple a défendue, pour la sauvegarde d'un patrimoine national —bon ou mauvais, mais roumain—, tant de générations se sont dressées pour lutter et à la tête de celles-ci est passée la plus jeune. Son élan et le souvenir du passé sur lequel sont passés jusqu'aujourd'hui tant de décennies, ne se sont arrêtés qu'au-delà des barreaux. Et la véritable bataille morale qu'ont livrée des centaines de milliers de Roumains, a été menée dans les bâtiments moisis des prisons communistes, là bas, dans ces cellules d'un calme sinistre que seul le cri de la mort et des chouettes qui nous ont accompagnés pendant des années secouaient. Mais la bataille , était contre soi-même, et contre :s bourreaux. Ce fut l'école la plus affreuse, celle qui formé tant de caractères et vaincu tant de mythes.
    Profilé dans l'histoire, et reprofilé à travers la lutte anti-communiste dont il s'est fait une profession de foi, l'auteur de cet ouvrage d'intérêt national, le professeur Cicérone Ionitoiu retrace sa propre jeunesse à travers l'attachement pathétique à la vie et à la mort, pour la survie de l'existence nationale, qui a embrassé le pays tout entier. Son livre a le mérite de ne pas le louer, bien qu'il parle de lui même en liaison avec ces événements, remarque un journaliste célèbre, qui est aussi un poète de nuance «gardes de fer». Les louanges et les lauriers reviennent à tous ceux qui ont payé tribut à la souffrance d'un peuple abandonné par ses amis et alliés, pour être écrasé par les démons des steppes kalmoukes.
    «Tombes sans croix» est le symbole du martyre d'un peuple qui ne trouve plus d'endroit pour le repos de ses fils, répandus à travers toute la Roumanie.
    «Tombes sans croix» est le témoignage vivant d'un survivant dont la tombe pourrait être n'importe où, sans croix. Et il a le droit d'écrire cette histoire, parce qu'il est l'héritier d'un monde qui l'a faite, et avec lequel il s'est fondu jusqu'à la souffrance la plus douloureuse.
    C'est son droit et celui des autres, c'est son devoir et celui des autres qui ont défilé devant la mort, de parler au nom de ceux qui ne sont plus, et au nom de celui qui a été représenté par eux, avec honnêteté face à la justice communiste, le Peuple Roumain.
    Tous ceux qui sont morts les armes à la main, à peu près tous ceux qui ont rendu l'âme derrière les barreaux, rêvant d'un instant de liberté, ceux là qui ont vu l'orifice noir des carabines en face des pelotons d'exécution, et ceux qui ont mordu l'herbe rouge de la Valea Piersici-lor (Vallée des pêchers), ont gagné une place petite ou grande dans cette colossale histoire, place que le parti communiste de Roumanie n'a jamais eu l'honneur d'avoir.
    Pour les «Vétérans» qui sont passés à travers la persécution pendant des années de dictature prolétaire, c'est le souvenir des décennies qui suivirent.
    Pour le monde qui n'a jamais vu à quoi ressemble l'intérieur d'une geôle, si ce n'est «le musée Doftana», dans les excursions B. T. T., cela signifie une mise en thème — dans les deux prochains volumes— de ce qui fut en vérité une prison communiste, dans toute sa nudité, dans sa sanguinaire réalité meurtrière qui a dépassé ce qui est humainement imaginable, et qui n'a, à aucun moment ressemblé à un musée. Et pour ceux-là qui n'ont ni lu ni entendu l'histoire vraie écrite ou racontée par les professeurs du Comité Central ou du Ministère de l'Education, c'est un point de référence et de réflexion.
    Parce que la politique sans histoire véridique est comme le Droit sans logique L'édition Ion Dumitru—Verlag, de Munich, a cette fois fait son devoir à l'égard de la culture et du peuple roumains. De l'imprimerie est sorti le premier des trois volumes du professeur Cicérone Ionitoiu, «Tombes sans croix» contributions à la chronique de la résistance roumaine contre la dictature communiste.» C'est un ouvrage d'histoire qui jusqu'à présent n'avait pas encore été écrit, et qui constitue le fondement d'une vaste contribution future sur les événements passés, au sujet desquels les historiens de la postérité auront l'occasion d'écrire. Les conclusions historiques leur incomberont, après qu'ils auront disséqué, sans subjectivité, ces moments qui ont amené une confrontation entre trahison et héroïsme, entre courage et lâcheté, entre vertu et décadence morale. C'est parce que toutes les passions ont été mobilisées contre la Nation Roumaine, et combinées avec la violence des cadres M. A. I., pour la détruire.

    Si le travail de l'auteur ne couvre pas absolument tout, si les volumes ultérieurs ne réussissent pas à couvrir en totalité le vaste mouvement de résistance roumaine, c'est parce que personne, que ce soit à l'étranger ou en Roumanie, ne peut connaître tout ce qui s'est passé sur toute l'étendue du territoire roumain, en ce qui concerne chaque individu, si ce n'est le jour où l'on pourra chercher dans les archives secrètes...
    Mais jusqu'alors, au nom de tous ceux qui ont connu la bestialité humaine, la dégradation physique et le désespoir ainsi qu'en mon nom personnel, j'adresse mes remerciements les plus sincères et les plus chaleureux à l'auteur de ces contributions historiques qui restent un "top of line" dans la lecture spécialisée.

Postface à 1 'édition roumaine par Ion-Ovidiu BORCEA

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POSTFACE III
LA TRAGEDIE DU PEUPLE ROUMAIN

    L'émouvant livre de M. Cicérone Ionitoiu, «Tombes sans croix», vient compléter avec des nouvelles données et informations la chronique noire des camps de travail forcé et d'extermination sur le territoire de la Roumanie. Nous lisons le livre avec amertume et indignation. Amertume, parce que quelques uns d'entre nous sont passés par cet enfer de «la nouvelle histoire» roumaine et n'ont pas oublié le goût de sang et de rouille de la terreur déchaînée; indignation, parce que même aujourd'hui, après 35 ans depuis ces événements ,1a vie du Roumain semble se déployer à l'ombre des même inimaginables auspices. Les mêmes, seulement dans une forme un peu modifiée. Chacun avec ses méthodes, avec les «perfectionnements» de rigueur. A cause de cela, le livre de M. Ionitoiu, qui n'est pas un théoricien de la souffrance, qui n'est pas un philosophe des tourments humains, mais un véritable chroniqueur qui a vécu, lui même, cet enfer et dont la mémoire est extraordinaire, arrive, pour ainsi dire, au moment juste. Nous tous connaissons dans quelles eaux baigne la politique absurde de Bucarest. Nous tous connaissons la naïveté, ou, pourquoi pas, l'ignorance et l'indifférence de l'Occident, quand on parle de la souffrance «des autres».
    Mais la vérité de la Golgotha des peuples entiers ne peut pas être longtemps cachée et mal interprétée. C'est une loi de la nature humaine, qu'un certain jour, l'équilibre entre crime et punition soit établi. Un livre comme celui-ci a le mérite de réveiller les saintes vertus des aïeux et la soif de vérité et justice. Elle est, au fond, destinée aux générations qui n ont pas connu ces horreurs, mais qui ne doivent pas oublier que leurs parents ont connu la dignité dans la souffrance et qu'ils n'ont pas déshonoré leur peuple. Ce livre veut être aussi une leçon. Une leçon d'héroïsme et de combat, d'espérance et de foi. Une foi qui n'a pas cédé devant le plus terrible. Une foi dans l'homme et ses vertus.

Ion ION


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