LES EFFORTS POUR SAUVER LA DEMOCRATIE

A la fin du mois de décembre 1945 eut lieu la confé­rence des ministres des affaires étrangères à Moscou, pour traiter des problèmes des pays occupés.

Il fut décidé que les ambassadeurs des trois puissances à Moscou iront à Bucarest pour demander au PNP et au PNL d'envoyer chacun au gouvernement un représentant en qualité de ministre sans portefeuille, pour assister aux travaux pendant la période préparatoire aux élections générales.

Le 7 janvier arrivèrent à Moscou M. Harriman, am­bassadeur des Etats-Unis et M. Clark, ambassadeur de la Grande-Bretagne.

En fait, c'était une mesure hypocrite, car on sentait clairement que deux ministres de l'opposition, isolés dans un gouvernement roumain contrôlé par Moscou, n'auraient aucun pouvoir.

Iuliu Maniu précisa à cette occasion, aux deux am­bassadeurs, Harriman (USA) et Clark (Grande-Bretagne) qu'une solution du problème roumain était impossible, vu la situation, et que s'il acceptait cette proposition-là, il le faisait uniquement pour mettre en évidence la malveillance des communistes. A cette même occasion, Iuliu Maniu ajou­ta:

«Messieurs, je ne vous demande pas de faire venir la flotte anglo-américaine en Mer Noire, mais je vous deman­de   seulement  de   neutraliser  le Ministère de l'Intérieur».

Iuliu Maniu, avec son sens aigu de la politique, avait saisi  le  vrai  problème  qui  se posait:    faire connaître la terreur qu'exerçaient les russes sur l'opinion publique, par l'intermédiaire du Ministère de l'Intérieur.

Les discussions qui suivirent firent connaître la déci­sion des Grandes Puissances d'avoir au gouvernement un représentant de chacun des deux partis. Au PNP Nico­las Lupu essaya d'obtenir l'investiture de la délégation permanente. Ses tractations secrètes menées avec les com­munistes étaient bien connues. Sa requête fut refusée. Finalement, on présenta une liste de la délégation perma­nente et on élit Emile Hatzieganu. Ainsi devait débuter une période préélectorale pendant laquelle les représen­tants des deux partis ne purent aboutir à des résultats positifs.

Du côté des libéraux c'est Mihail Romniceanu qui fut désigné.

J'ai déjà abordé le problème de la parution des jour­naux d'opposition en 1946.

Les difficultés étaient causées par le manque de papier, par la censure qui massacrait les articles, ainsi que les im­primeries qui n'étaient pas assez nombreuses. Même si on réussissait à se procurer du papier, avec la censure c'était difficile, car après des coupures dans tous les sens, on n'y comprenait plus rien. Il y eut des cas où, à la place de l'article qui avait été censuré, il ne restait plus que le titre et la signature. D'un autre côté, les ouvriers de l'impri­merie étaient obligés par les syndicats communistes de ne pas   participer   à   l'impression   du   journal    «Dreptatea».

On réussit a obtenir une imprimerie, rue Valter Maracineanu et là, sous la direction compétente de Ion Puiu, qui était ingénieur, on imprima dans d'excellentes con­ditions et à temps le journal du PNP tant attendu: «Drep­tatea».

Sa diffusion fut assurée par des équipes d'étudiants pour permettre une diffusion rapide vers la périphérie, les exemplaires étant limités à cause du manque de papier rationné par le gouvernement.

Le journal était très demandé. On se l'arrachait des mains, on le payait sans attendre le reste, tel était le besoin de nourriture spirituelle.

L'année 1946 avait commencé avec un nouvel es­poir. Avec l'entrée d'Emile Hatzieganu et de Mihai Romni­ceanu au gouvernement en qualité de ministres sans por­tefeuille, la vie politique paraissait reprendre son cours normal. Mais connaissant la politique de duplicité pra­tiquée par les Russes avec l'aide des communistes, on était méfiant.

Le gouvernement Groza cherchait à gagner du temps pour renforcer ses positions, menant une nouvelle campa­gne en vue de fractionner l'opposition, en l'empêchant d'agir par tous les moyens.

On affirmait que les journaux des partis PNP et PNL pouvaient paraître, mais on ne leur livrait pas le papier nécessaire, ou bien, losqu'ils en recevaient, c'était en quan­tité minime. Il fallait donc s'en procurer chez les gens qui spéculaient au marché noir. Vous ne le croirez jamais: c'est chez les russes que nous trouvâmes le papier pour publier le journal «Dreptatea». Par ailleurs on affirmait aussi qu'on pouvait se réunir librement, mais on prenait soin d'envoyer sur place des équipes de bagarreurs pour les intimider et les disperser.

 

UN PROFESSEUR UNIVERSITAIRE SE PRETE A UN JEU MESQUIN

«La jeunesse» dite «progressiste» formée par des vauriens cherchait à se faire des adeptes parmi ceux qui voulaient à tout prix parvenir.

L'Office Universitaire qui accordait des bourses aux étudiants méritants, était tombé entre les mains des com­munistes, qui, avec Florica Mezincesco, Petru Barbulesco, Rasnic, Coman, Biserica, Mihai Gafitza, avaient pris la liberté de décider de leurs droit, surtout de ceux qui adhé­raient aux formations hybrides.

On annonça la création d'associations d'étudiants du genre associations professionnelles, dans le noble but d'améliorer leur niveau de vie, de les préparer à devenir des cadres dignes, utiles à la nation qui se trouvait à un mo­ment décisif de son histoire. On disait aussi que la possi­bilité était donnée d'élire les étudiants les plus représenta­tifs confirmés par la grande masse dans des élections li­bres.

L'étudiant étant considéré à l'époque comme la force créatrice de la nation, capable de dire son mot dans des moments difficiles, on accorda une importance capitale à cette élection, véritable test avant la grande confrontation électorale de fin d'année.

Effectivement, depuis les huit dernières années, la vie des étudiants n'avait pas connu une telle effervescence. Ils présentèrent plusieurs listes. La lutte était engagée entre les communistes et leurs adversaires, entre la justice et l'in­justice, entre l'oppression et la liberté d'expression.

Le problème était décisif. La Faculté de Lettres et de Philosophie, fréquentée principalement par des jeunes filles, assuma le risque de com­mencer les élections. Là, les communistes comptaient tirer quelques avantages, grâce à la présence dans le clan de Gutza Tataresco de Ion Bulgar, en réalité un oppor­tuniste. En qualité de président des étudiants national-paysans à la Faculté de Lettres et de Philosophie, qui comptait plus de 400 membres, j'allais trouver Bulgar en vue de discuter avec lui la mise an point d'une campa­gne décente. Il était souhaitable de ne pas recourir aux insultes et aux coups, et que chacun cherche à exposer son programme avec des arguments liés à leur vie profes­sionnelle, ensuite les votants pourraient choisir la liste qu'ils souhaitaient.

Nous parlâmes avec Bulgar parce que il avait été délégué par l'Office Universitaire et qu'il faisait partie du comité imposé qui devait suivre la ligne politique des «progressistes». On discuta avec d'autres personnes ayant à cœur d'être des gens de culture.

Malgré toutes les assurances reçues, une lutte ouverte commença après le 1er février 1946 entre les deux groupes qui devaient s'affronter.

Il y avait en outre un groupe d'environ 10 étudiants libéraux dont le meneur était un certain Tilea. Il y avait également d'autres membres qui auraient souhaiter se présenter aussi et qui étaient animés de sentiments patrio­tiques.

Connaissant les forces dont nous disposions, nous voulions aller seuls à cette confrontation. Réflexion faite, comme toutes ces élections représentaient une première au Centre Universitaire de Bucarest, on se rallia à l'avis de quelques professeurs universitaires (Cioranesco, Sauciuc-Saveanu, Tasca, I. Huditza) qui avaient trouvé opportun d'établir une liste commune de toutes les nuances contrai­res à la «jeunesse progressiste».

Suivant ces suggestions, nous discutâmes d'abord au Foyer Stanesco, ensuite chez Octavian Paleologu, établissant la liste que voici:

Berindei Dan

Dumitresco Despina

Bourceanu Vasile

Tilea

Paleologu Octavian

Lazaresco Paul

Ionesco Ion ainsi que deux autres dont les noms m'échappent.

La liste proposée par les adversaires était la suivante avec quelques noms dont je me souviens encore:

Bulgar Ion

Barbu Campina

Diaconesco Tismana

Radulesco Teodor

Cristea Coman

Etant  recherché par la Sûreté, je ne posai pas ma candidature.

La liste définitive menée par Dan Berindei fut multi­pliée en quelques exemplaires et mise en circulation, expo­sant en même temps notre programme.

Le jour des élections fut fixé au 15 février 1946. Plus cette date approchait, et plus la tension montait. Les communistes montrèrent leur vrai visage à cette occasion, en falsifiant les noms sur les listes. Même en tête il y avait le nom de Dan Berindei, suivi des noms qui étaient sur leur liste.

Il fallait absolument démasquer et déjouer leur ma­nœuvre qui laissait voir clairement qu'ils ne reculeraient devant aucune supercherie, essayant par les falsifications et par les mensonges d'arriver à la direction de la Facul­té.

Le jour des élections, à 13 h, je convoquai 6 étudiants: Lilica, Maria, Marioara, Livia, Gaby Bulzan, Paul, sans qu'ils sachent pourquoi je les avais faits venir. Je leur donnai 1000 listes pour qu'ils les marquent des trois couleurs nationales. Une demi-heure avant les élections, nous partî­mes tous à la Faculté de Pharmacie, où devait avoir lieu le vote. Dans l'amphithéâtre, nous avons distribué les nou­velles listes qui portaient la mention «votez tricolore». Les communistes qui distribuaient des listes falsifiées, pris de court, ne savaient plus que faire. Dans la salle on n'entendait que «Votez tricolore». Le début du vote fut retardé d'une heure, sous prétexte que le président n'était pas encore arrivé, lequel président délégué par le ministère, était en train de conférer avec les communistes de la tactique à adopter.

Finalement, la séance fut ouverte et chaque candi­dat devait se présenter pour se faire connaître et dire quelques mots. Jusque là tout allait bien et les étudiants étaient satisfaits. Mais lorsque vint le tour des communistes, ils commencèrent à parler à tort et à travers, disant n'im­porte quoi pour faire passer le temps. Il était clair qu'ils ne voulaient pas de cette élection. Il était 22 h et parmi les 18 candidats qui devaient se présenter il n'y eut que six et parmi les six, trois communistes.

Les gens commencèrent à protester et à s'insurger contre le système adopté par le professeur Vianu, qui fai­sait le jeu des communistes. Je parlai au professeur Vianu demandant qu'il limite à deux minutes l'allocution de cha­cun et que nous puissions procéder au vote à 23 h. Il re­fusa disant que cela n'était pas démocratique et... on con­tinua.

La salle commença à vociférer en demandant à vo­ter.

Il était clair pour tous qu'on essayait par tous les moyens d'empêcher les gens de voter. Le plus regretta­ble dans toute cette affaire était qu'un professeur comme Tudor Vianu se prêtait à ce jeu. Mais il y avait une raison à cela.

J'allai à nouveau le trouver, accompagné de trois personnes, lui demandant de cesser le boycottage des élec­tions, le rendant responsable de    ce qui venait de se passer et des conséquences que pouvait avoir la pratique d'un tel système pour des cadres universitaires compétents.

Entre temps la Sûreté fit son apparition, Bulz en tê­te, qui visiblement me cherchait.

Prévoyant ce qui allait se passer, plusieurs collègues vinrent vers moi et nous nous retirâmes sans crier gare. Quelques collègues m'aidèrent à quitter l'Amphithéâtre et la Faculté.

Peu de temps après, le professeur Vianu suspendit la séance à cause de l'heure avancée, la date et les élec­tions étant remises à plus tard.

La tactique des communistes avait réussi. C'est en vain que l'on bloqua les sorties dans l'intention de ne lais­ser partir personne sans voter. Nous avions perdu. On avait trouvé des gens courageux, mais l'intervention de la Sûreté gâcha tout.

Le lendemain, un communiqué du Ministère de l'En­seignement signé Simion Stoilov, interdisait les élections dans le cadre des facultés, attendant que le ministère nom­me la direction des associations d'étudiants.

En récompense des services rendus, le professeur Vianu fut nommé ambassadeur à Belgrade, obtenant un siège sur les listes communistes dans les élections qui al­laient se tenir à l'automne.

Les étudiants protestèrent par écrit auprès du Minis­tère de l'Enseignement, s'insurgeant contre l'interromption abusive des élections, demandant le retour au systè­me démocratique en ce qui concerne la désignation des cadres dirigeants des associations d'étudiants. La péti­tion était signée par 2000 étudiants et une délégation conduite par Vasile Bourceanu demanda audience au ministre, mais sans résultat. La ligne politique du gouver­nement était d'imposer d'en haut des nominations qui étaient impopulaires, étant donné que c'étaient des gens du régime qui avaient trempé dans toutes sortes de combines malhonnêtes en ce qui concerne la vie des étudiants: réparti­tion des bourses, des places dans les foyers.

C'était la première immixtion dans la vie universitaire.

Peu de temps après, les cadres universitaires furent remplacés par des gens sans formation ni caractère, dont le but était de transformer les étudiants en une pâte facile à manœuvrer, à la disposition du parti communiste.

 

UN AUTRE PROFESSEUR-MINISTRE FAUSSAIRE

 

 Le 10 mars 1946, un nouveau congrès du Parti Social Démocrate fut convoqué par un groupuscule sous la direc­tion de Lotar Radaceanu, Stefan Voitec, Tudor Ionesco-Plastograful, dans le but de réaliser une scission au sein du parti et d'obtenir une participation sur des listes commu­nes avec les communistes aux prochaines élections.

Dans le cadre de ce Congrès Tudor Ionesco, Minis­tre du Pétrole, donna lecture à une lettre de Nicolae Penesco du PNP et Bébé Bratiano du PNL adressée à Constan­tin Titel Petresco, par laquelle les représentants de l'op­position proposaient une somme d'argent au président social-démocrate pour que celui-ci prépare une campagne anti-communiste. La lettre était signée par Tudor Ionesco et deux autres personnes dont il avait falsifié les signatu­res; ils le traduisirent en justice, mais Lucretiu Patrascanu, le ministre de la Justice, prononça un décret d'amnistie pour les faux dans les actes publiques et Monsieur le profes­seur Tudor Ionesco s'en sortit à bon compte.

Quelques jours après cette mise en scène par le PCR, Titel Petresco, le Président du Parti Social-Démocrate, Adrian Dimitriu, le secrétaire général, Iosif Jumanca, d'autres encore, furent exclus du parti.

Le même mois de mars, le Parti Socialiste Roumain succombe sous la tromperie sinistre des transfuges du par­ti qui votèrent le principe d'une collaboration avec les com­munistes selon les ordres reçus de Moscou.

Pour montrer jusqu'à quelles limites fut poussée cette  terreur  exercée  par  le régime communiste qui de vait préparer et contrôler les élections libres, il faut rap­peler le cas de M. Michel Romniceanu, ministre du Parti National-Libéral, parti qui était dans la coalition gouverne­mentale conforme aux décisions prises à Moscou: tandis qu'il allait préparer la campagne électorale, M. Michel Romniceanu fut arrêté le 17 mars 1946.

 

LA LUTTE CONTRE LES ETUDIANTS

Vers le milieu du mois de mars, la situation des étudiants qui refusaient d'adhérer au programme PCR d'immixtion dans la vie universitaire devint bien difficile. On commença par leur enlever les tickets de cantine et par leur inter­dire les foyers. La grande majorité d'entre eux ne s'occu­paient pas de politique. On ne pouvait pas rester indiffé­rent devant ces abus. Lors d'une séance au siège du PNT à laquelle je participais aussi, une partie des professeurs universitaires, MM. Cioranesco (Polytechnique), Ion Hudita et Sauciuc-Saveanu (Faculté de Lettres) D.D. Gerota (Faculté de Droit), Tasca (Académie Commerciale), ainsi que Nicolae Penesco, secrétaire général du PNT, Ion Barbus, Alexandru Dragulanesco, Ecaterina Madgea­ru, Fulvia Penesco, analysèrent la situation nouvelle créée dans les Universités. Afin de pouvoir aider les étudiants à poursuivre leurs études, sans pour autant devoir céder aux pressions politiques, on décida:

—de créer le Front Universitaire Libre pour tous les étudiants luttant pour les libertés de l'homme,

—d'assurer une cantine gratuite à l'ACF (Association chrétienne des femmes) pour tous ceux auxquels les asso­ciations des étudiants refuseraient des tickets.

Mesdames Ecaterina Madgearu et Fulvia Penesco obtinrent 100 tickets de cantine, le nombre devant être doublé le mois suivant.

On doit souligner la compréhension et l'aide appor­tée par l'ACF dans des circonstances si difficiles, de même que la bonté de Madame Paps, qui gérait la cantine rue Popa Rusu et  qui servait  à manger sur simple présentation d'un billet écrit à la main, en attendant de recevoir les autres.

Un fait qui nous étonne est que le lendemain après notre réunion on put lire, dans la presse communiste, la décision que nous avions prise de former un Front Uni­versitaire Libre.

On eut l'explication seulement quelques mois plus tard, lorsque de source sûre nous apprîmes qu'Alexandru Dragulanesco, président du Centre Universitaire, était devenu informateur de la Sûreté.

 

 

LA MASCARADE

 

Le 18 mars 1946 c'était le tour de Gutza Tatarasco de décider s'il allait présenter sa candidature aux élec­tions sur les listes communes avec les communistes. La sé­ance, à laquelle ont participé des personnalités politiques, fut longue et orageuse, et les ficelles bien tirées. Pendant toute la nuit on discuta le pour et le contre. Parmi ceux qui ont pris la parole on peut citer: Aurelian Bentoiu, Alexandrini et d'autres encore. Gutza Tatarasco avait ac­croché le portrait du roi Michel au mur, en disant qu'il était pour la monarchie et qu'il en serait le pilier.

Dans un élan de patriotisme il se leva et dans le but d'émouvoir ses auditeurs il dit: «Le cœur serré je dois vous dévoiler un secret; parce que vous êtes mes amis, vous devez le savoir: si nous ne marchons pas avec les communistes, nous perdrons notre roi».

Ensuite, il invita chacun à voter selon sa conscien­ce, en tenant compte de ce moment décisif de l'histoi­re.

Même ceux qui avaient été au début contre, votè­rent communiste, les larmes aux yeux.

La mascarade réussit parfaitement.

LA TERREUR REGNE PARTOUT

 

Profitant d'une soi-disant liberté dans le pays, le PNP commença à tenir des congrès régionaux pour élire les corps statutaires. Au cours du mois de mars à Targoviste, l'éminent professeur de mathématiques Cezar Spineanu convoqua le congrès du parti de la région de Dâmbovitza.

Ancien combattant, Cezar Spineanu fut membre du premier Comité Central du PNP en 1919, participant à la rédaction de la «Déclaration des Principes du PNP» aux côtés de Ion Mihalache, Ion Rãducanu, Virgil Madgearu. Elu plusieurs fois député, il fit partie après le 23 août 1944 de la délégation permanente du PNP.

Le département de Dâmbovitza était pratiquement acquis au PNP. Il avait un secrétaire capable dans la person­ne de l'avocat Gh. Marin, ainsi qu'une excellente organisa­tion de la jeunesse, dont je cite ceux que j'ai rencontré dans les prisons: Goga Persinaru, Iulica Dutza, (si mes sou­venirs sont bons, de Cobia-Valea Caselor). Dans ce dépar­tement les communistes essayèrent avec l'aide de l'insti­tuteur Gogu Popesco, nommé préfet, d'anihiler l'oppo­sition par tous les moyens, y compris le crime, ce qui fut le cas.

Pour arriver à ses fins il créa une équipe de barbou­zes criminels conduite par Dorobantzu, Moraru, Bizin, Badea devenu officier de Sécurité à Ploiesti, ainsi que d'au­tres du même acabit.

Le jour du congrès à Targoviste on essaya d'empêcher l'arrivée des paysans en ville, mais ce ne fut pas possible à cause de la foule. Alors ils se jetèrent comme des barbares sur la foule sans défense, frappant et blessant sérieusement les gens avec leurs massues. Les professeurs Cezar Spineanu et Alexandru Vasilesco de «Mânastirea Dealului», le prê­tre Ilie Popesco Slobozia, l'avocat Gheorghe Marin furent grièvement blessés.

La foule était tellement indignée qu'elle riposta et il s'en est fallu de peu que Dorobantzu ne soit lynché. Mais l'intervention de Spineanu le sauva. Celui-ci expliqua que Dorobantzu était l'instrument de Gogu Popesco et des communistes qui n'avaient fait que démontrer au fond comment est respectée la liberté de réunion , décidée à la conférence des Ministres des Affaires étrangères à Moscou et acceptée par le gouvernement Groza.

C'est de cette façon que Dorobantzu eut la vie sauve.

Il continuera à terroriser les départements de Munténie et sera nommé en 1950 commandant de la prison d'Aiud en récompense de ses services.

Son  chef Gogu  Popesco  sera  nommé   ambassadeur.

Des années après, lorsque Dorobantzu rencontrera Cezar Spineanu à Aiud, il donnera l'ordre de le battre, plusieurs fois.

 

PREMIER PROCES DE LA RESISTANCE ROUMAINE

La résistance contre l'oppression instaurée par les Rus­ses incita les gens à trouver des solutions efficaces. Le général Aldea essaya de former autour de lui un mouve­ment d'opposition nationale. La Sûreté, par l'infiltration de ses agents, chercha à compromettre les partis poli­tiques pendant la campagne électorale. Téohari Georgesco avait l'intention d'arrêter les éléments dynamiques de l'op­position pour les mettre hors de combat. Parmi les gens impliqués dans le procès connu sous le nom de «Sumanele Nègre» (Les blousons Noirs) il y avait:

Le groupe armé «Sinaia»:

—Général Aldea Aurel, ancien Ministre de l'Inté­rieur;

—Général Eftimiu Constantin, ancien Ministre de l'Economie, qui,dans un mémoire à l'attention de l'étran­ger, a prouvé que jusqu'en 1946 la Roumanie avait payé trois fois la valeur de l'armistice.

—Alexandresco Nicolae, avocat, celui qui a traduit ce mémoire à l'attention de l'étranger;

—Plesnila Eugen, (colonel, devenu un fidèle de la Sûreté et qui, après l'avoir servie a été laissé mourir en prison); Chintesco Gheorghe (du service secret d'infor­mation); Brezeanu (commandant); Boros (capitaine); Tzantzu (parachutiste); Evolceanu Alexandru (colonel); Holban Mircea, (lieutenant des chasseurs alpins); Criveanu Mircea (idem) ; Sassu Viorel (sous-lieutenant); Pasco Nicolae; Bosca Malin, (journaliste); Dobresco Ghica. Le groupe politique:

Ilie Lazar (leader du Parti National Paysan); Romulus Boila (idem); Bratianu Vintilica (leader du Parti National Libéral); Calea (magistrat); Olteanu Elvira.

Un groupe annexe «Graiul Sangelui» (La voix du sang). Je ne me rappelle que les noms de:

Gavrila Olteanu; Vulcanesco Ion.

La mise en scène de ce procès a été l'œuvre de la «Sû­reté», avec le concours de ses agents Steantza Dumitru (étudiant, de la commune Tamna) et Paleaco Nicolae. Les deux ont continué d'être des informateurs de la police secrète dans les prisons, aggravant à toutes les occasions les conditions de vie des détenus.

Gavrila Olteanu, devant la trahison de ces 2 agents, a pris de la stricnine le 20 juillet 1946, à 2 heures et jusqu'à 4 heures du matin il mourut dans la cellule du Ministè­re  de  l'Intérieur,  où il était gardé en état d'arrestation.

Le 18 novembre 1946 on publiait dans les journaux la sentence avec les condamnations de plus de 90 accusés, pour mettre en garde l'opinion publique avant les élections qui devaient avoir lieu le 19 novembre.

Pendant le procès, outre les accusateurs, ceux qui ont accepté de collaborer avec la police, les inculpés ont nié tous les faits dont ils étaient accusés, essayant de démon­trer qu'il ne s'agissait que d'une mise en scène. La sentence officielle a été rendue publique à 3 heures du matin (donc le 19 novembre) et les peines étaient aggravées par rapport à celles publiées dans la presse.

Tout cela prouve qu'aussi bien le procès que la senten­ce furent dictées par la direction communiste du Ministè­re de l'Intérieur.

Les peines prononcées ont été les suivantes:

—Travaux forcés à perpétuité: Général d'armée et chef d'état major de l'armée Aurel ALDEA, ancien Ministre de l'Intérieur dans les gouvernements de Libération; Gé­néral C. EFTIMIE; Lieutenant Colonel PLESNILA; avocat N. ALEXANDRESCO, D. STEANTA, N. PALIACO, tous arrêtés.

Par contumace: Amiral Horia MACELARU; M. FAR-CASANU, national libéral; V.V.J. BRATIANO, H. COMA-NICIU, national paysan; BOCSA MALIN, journaliste et avocat; I.S. BALAN, I. ALEXANDRESCO, I. COMSA, S. GRIGORE, I. NISTOR, A. POP; Marius IACOBESCO, D. CRACIUN, REBREANU; professeur Gh. MANU, Th. MANICATIDE, N. CHISELICESCO.. Th. NETTA, L. NICULESCO.

—20 ans de travaux forcés: Avocat N. CALLEYA; capitaine parachutiste MANTU.

—15 ans de travaux forcés: V. NEGRESCO; capi­taine  D.   POPA;   capitaine   M.   CRIVEANU; V.   SASSU.

—10 ans de travaux forcés: Commandant BREZEA-NU; lieutenant M. HOLBAN.

—7 ans de travaux forcés: Capitaine-aumônier R.P. Victor TOMA.

—5 ans de travaux forcés: lieutenant Ilie BOROS; G. CHINTESCO, Ed. POTOSCHI, I. PASCO, St. STROES-CO; commandant CHARTNER, Cornel POP, Marius POP, Elena PENESCO.

-2 ans de prison: Th. DRUTU, Oct. FEDORCIUC, I. GROSANU, Gh. STANESCO, tous arrêtés.

Par contumace: Général d'armée et chef d'état-ma­jor général de l'armée Nicolae RADESCO, ancien pré­sident du Conseil des Ministres après la Libération; Ro-zina SIMIONESCO; St. ALEXANDRESCO; St. RASNO-VEANU, Léon BLAGA; Gh. POPESCO, V. SLAVOA-CA.

—1 an de prison: Valer ROMAN, ancien ministre; N.    UNGUREANU,   BICHIGEANU,   I.   VULCANESCO.

-8   mois   de   prison:   P.   DOBRESCO,   St.  BOERU.

—7 mois de prison: Dr. Ilie LAZAR, leader du Par­ti National Paysan, ancien ministre.

-6 mois de prison: ANGHEL-CAPRA, Gh. VINTI-LA,   Horatiu    CIORTIN,   lieutenant-colonel    CONSTANTINESCO; lieutenant V. COIFAN; capitaine M. COCHI-NOS, Al. BERTUME, S. GHINEA.

-Le procès de Mme Elvira OLTEANU a été disjoint.

-Ont été acquittés: Dr. Ionel POP; Tarquiniu PRISCO; capitaine BREAZU; adjt. SCHEAU; adjt. COJOCARU; adjt. CALOTA; commandant MOTORGA; Radu VALSA-NESCO; capitaine N. DUMITRESCO; colonel N. BUCUR, M. CIOICA, I. PARVATOIU

 

LA DURETE ENVERS L'OPPOSITION

 

Les Russes étaient bien décidés à faire disparaître toute influence américaine en Roumanie et il fallait venir à bout de Iuliu Maniu. Des soldats russes armés troublaient les réunions tenues par les supporters de Maniu.

Tous les moyens étaient bons pour intimider l'oppo­sition.

Au printemps 1946 eut lieu une conférence à Brasov, tenue par le professeur universitaire Alexandru Herlea et ayant comme sujet: «La protection constitutionnelle de la culture». Les communistes s'arrangèrent pour inter­rompre la conférence, provoquant un court circuit. A la lumière de deux briquets le conférencier put achever son discours.

Toujours à Brasov, je dois rappeler l'attitude odieuse du défroqué Ion Podea, qui se moqua non seulement des intellectuels, mais aussi de la population du département. D'abord prêtre en Amérique avant 1935, il s'était procla­mé lui-même Métropolite des Roumains immigrés, demandant la séparation d'avec le Métropolite de la Transylvanie. Le Métropolite Nicolae Balan le démit de ses fonctions et les Roumains d'Amérique le destituèrent. De retour au pays, après 1945 il entra au Frontul Plugarilor (le Front des La­boureurs) et on lui donna des responsabilités importantes à la préfecture de Brasov. A ce titre il a expulsé les Saxons de leurs biens, en les attribuant aux Tziganes, ne faisant que du mal autour de lui.

* * *

Au cours du mois de mars, un autre crime odieux fut commis.

A Iassy, vieux centre universitaire, les étudiants con­naissaient mieux les rigueurs du temps parce qu'ils étaient plus  près  de  «la lumière venant des ténèbres de l'Est».

Là, nos frères de Bessarabie et de Bucovine ressen­taient d'avantage l'amertume et la douleur d'avoir été arra­chés à la mère patrie et d'avoir à subir la plus cruelle des dictatures.

Les communistes et leurs acolytes, qui ne voulaient pas connaître les souffrances du peuple enchaîné, conti­nuaient à terroriser et à torturer les gens.

C'est justement là que les étudiants roumains de la capitale de Moldavie essayèrent de s'organiser pour dire un «Non» catégorique à l'oppression.

La Sûreté commença aussitôt à poursuivre ceux qui étaient considérés comme dangereux pour le régime, cherchant à les retirer de la circulation. Un d'entre eux était l'étudiant Serge Iacovlov, leader de la jeunesse na­tional-paysanne, fils d'un médecin de Botosani. Pour s'en débarrasser on le fusilla dans la rue. Il y eut alors un sursaut de révolte qui souleva tous les étudiants. Plus de 10.000 jeunes de Iassy le conduisirent dans les rues de la ville, vers Botosani. Mais à quoi bon?! Serge n'était plus. Il avait été liquidé. Petits et grands l'accompagnèrent à sa dernière de­meure dans sa ville natale.

Quelle tristesse!

Nombreux furent ceux de ses amis et collègues qui deux ans plus tard prendront la route des prisons. On les rencontrera à Suceava, Pitesti, Aiud, Canal. Telle sera la contribution des intellectuels de Iassy à la douleur du peu­ple roumain.

Au mois d'avril, les agressions se poursuivirent contre ceux de Crai'ova et de Arad. Si à Craïova on voulait seule­ment intimider, à Arad ce fut le massacre. On tira et blessa grièvement 12 personnes, en tuant deux. Comme partout, on tua et frappa des gens sans défense.

Pour augmenter la terreur,  on commença par arrê­ter les anciens dignitaires.

 

* * *

 

Les fêtes de Pâques coïncidaient cette année-là avec le jour de la St. Georges. Le samedi après midi on mit sous scellés le domicile de Popesco-Mehedintzi, rue Métropolite Filaret,33, annonçant une perquisition pour le lundi 24 a-vril. A cette adresse il y avait une sorte de dépôt du jour­nal «Taranismul» qu'éditait Popesco-Mehedintzi et où, d'après les informations de la police, se trouvaient des balles de papier pour l'impression du journal.

Le matin du jour de Pâques, Barbus vint me chercher. Que s'était-il passé? Le secrétaire général Nicolae Penesco l'avait appelé d'urgence à cause d'une complication qui était survenue rue Filaret,33 et il avait besoin de deux gars pour résoudre le problème.

Popesco-Mehedintzi avait acheté pour les besoins du parti cinq rouleaux de papier hongrois chez les russes. Ceux-ci avaient apporté le papier et encaissé l'argent. C'était une capture de guerre et les russes ne tenaient pas aux principes, ils le vendaient à qui voulait l'ache­ter.

Nous partîmes, Barbus et moi, afin de résoudre le pro­blème.

Popesco-Mehedintzi nous prêta une lime assez large et de la toile émeri, nous expliquant qu'il ne nous serait pas si facile d'enlever le cachet qui était sur le papier. Ensuite, il nous laissa travailler et emmena sa famille en pro­menade. Nous commençâmes vers 11 h, travaillant d'arrache pied jusqu'au soir.

Quelle journée!

On travailla comme des nègres. On se disait que c'était le jour de Pâques et que nous l'avions fêté en travaillant, d'après le système communiste. Vers 8 h du soir on avait fini et ne sachant où nous diriger en ce jour de fête, l'idée nous vint d'aller rendre visite à notre ami, Misu Tartzia, à l'hôpital Gerota, Boulevard Ferdinand, où il était inter­né sous surveillance. Après les arrestations du 8 novembre, tout le monde avait été mis en liberté sauf Misu Tartzia, qui était malade et sous surveillance à l'hôpital. Arrivés chez lui, nous trouvâmes encore de quoi nous restaurer, ensuite nous parlâmes longuement. Misu me dit avoir été interrogé par le procureur Iorgu Popesco et que celui-ci, pour compléter son dossier, avait besoin d'une déclaration pour confirmer où il avait passé la journée du 8 novembre. Moi j'étais le seul à pouvoir faire cette déclaration, étant donné que nous étions ensemble chez le père Vasile Soroaga pour fêter Misu et qu'ensuite il était toujours avec moi, lorsque nous fûmes enlevés à la station de tramway.

Mais comment savoir si Iorgu Popesco était sincère?

Le mercredi après Pâques, je me rendis à la Cour Martiale rue Uranus où je parlai au procureur Iorgu Popes­co, relatant où nous avions passé la journée du 8 novembre, en lui remettant la déclaration. Misu Tartzia fut mis en li­berté aussitôt après le 1er mai.